Avec 7 millions d’immigrés, dont 2,5 millions naturalisés, la France est un carrefour migratoire majeur en Europe. Les origines en sont anciennes et cette immigration répond à des dynamiques complexes, entre les raisons du départ et les besoins de l’économie du pays d’accueil. Nous avons échangé avec Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Cet article est extrait du cinquième numéro de la revue Mermoz, « Démographie, la transition silencieuse ».
Peut-on dresser un panorama de l’immigration en France ?
Un peu plus de 7 millions d’immigrés vivent en France, dont 2,5 millions ont acquis la nationalité française. 48 % d’entre eux viennent du continent africain, 15 % viennent d’Asie. Depuis les années 1990, les Italiens, Espagnol et Portugais ne dominent plus. 38 % des immigrés n’ont aucun diplôme : nous sommes le pays de l’OCDE qui a l’immigration la moins qualifiée. 35 % des immigrés vivent dans des logements sociaux, contre 11 % des non immigrés. C’est le cas pour une personne sur deux d’origine algérienne, presque autant pour les Marocains, 57 % pour les sub-sahariens. Les principaux vecteurs d’immigration sont familiaux, de travail ou d’études. La France est aussi le lieu de la demande d’asile : depuis 2017, 1 million de personnes nous ont demandé l’asile, sur les 9 millions de demandes en Europe.
Où s’installent les migrants quand ils arrivent en France ?
Chaque pays voit venir à lui des personnes en fonction de son histoire et de celle des immigrations. Il y a un siècle, l’Europe était d’abord un continent d’émigrants, exception faite de la France qui recevait dans les années 1920, en proportion, plus d’émigrants que les États-Unis. En Europe, 13 % de la population sont immigrés, contre moins de 3 % en Asie ou en Amérique latine. Ceux qui viennent à nous sont d’abord issus des pays avec lesquels nous avons eu des liens coloniaux mais notre immigration est de plus en plus variée. L’Ile-de-France est la première région métropolitaine en pourcentage d’immigrés au sein de la population (20 %). Auvergne-Rhône-Alpes, Corse, Grand-Est et Occitanie sont aussi des régions importantes d’installation des immigrés au contraire de la Bretagne, des Pays de la Loire ou de la Normandie.
Quel est l’impact sur les équilibres démographiques, sociaux et économiques des territoires ?
Si la majorité des immigrés s’intègre, la désindustrialisation et la pénurie de logements ont accentué des concentrations de pauvreté à partir de l’immigration. En 1982, Paris comptait 30 % d’immigrés, aujourd’hui autour de 20 %. En 1968, la Seine-Saint-Denis se situait au 9e rang en proportion d’immigrés dans sa population. En 2024, elle est au premier rang avec 30 %. Alors qu’en 1960 Paris comptait 576 000 emplois industriels, la perte de ces emplois explique aussi la baisse de l’immigration. 47 % des immigrés extra-européens ont un revenu inférieur au taux de pauvreté, 4 fois plus que les Français. Seule la moitié (51,6 %) des Extra-Européens occupent un emploi, l’un des plus faibles taux en Europe. Et beaucoup d’immigrés occupent les emplois les plus défavorisés du marché du travail ou des métiers en tensions, les moins qualifiés. Ce qui n’exclut pas leur présence dans des métiers qualifiés comme ceux de la santé.
Comment l’Etat peut-il intervenir pour corriger les déséquilibres créés ? Vous aviez par exemple soutenu l’idée de répartir l’accueil des immigrés en zone rurale pour éviter la concentration dans les zones densément peuplées.
Cette répartition n’est possible que pour les demandeurs d’asile qui sont dispersés grâce aux 120 000 places des centres d’accueil. 20 % de ces lieux d’hébergement sont situées dans des départements de moins de 500 000 habitants. Des pays comme l’Allemagne ou la Suède assignent les réfugiés qui ne subviennent à leurs besoins grâce aux prestations sociales dans des logements et zones précises. Cela favorise la répartition. Pour les immigrations familiales en particulier, nous n’avons pas, à l’exemple du Danemark, des plafonds de présence maximum d’immigrés extra-européens (30 %) par quartier. Une règle comparable de quotas dans le parc social a existé en France, qui plafonnait entre 15 et 20 % le nombre d’immigrés. La proportion de ménages immigrés augmente dans les communes où ils sont déjà nombreux et diminue au cœur des agglomérations.
Avec une population vieillissante, l’immigration sera-t-elle indispensable pour répondre aux besoins des entreprises ou assurer la pérennité des systèmes de protection sociale ? Même des gouvernements a priori réticents face à l’immigration comme l’Italie semblent s’y résoudre…
Notre économie repose, pour beaucoup, sur la consommation extensive de services à bas coûts. Ce sont des emplois qui disparaissent tendanciellement avec l’automatisation, ou sont délocalisés. La désindustrialisation et la révolution des modes de production liée à l’intelligence artificielle limitent les besoins à venir de main-d’œuvre, en particulier celle la moins qualifiée. En termes de compétitivité, l’utilisation dans certains secteurs de main d’œuvre peu qualifié et donc bon marché est même un frein à l’innovation, au risque d’affaiblir les secteurs qui y ont recours dans la concurrence mondiale. Enfin, nous avons un déficit d’employabilité par rapport à l’Allemagne et donc une masse de travailleurs potentiels sur lesquels il ne serait pas de bonne politique de tirer un trait. L’immigration ne devient un problème de nombre que lorsqu’elle est liée à la pérennité d’un État social, c’est-à-dire lorsque le nombre de non-cotisants augmente plus vite que celui des cotisants, ce qui vient alors s’ajouter aux difficultés d’intégrations culturelles.
Peut-on dépassionner ce sujet, qui est un des principaux points de friction politiques ?
Cela suppose que chacun parte du réel. L’Europe et la France ne sont ni des forteresses ni des zones ouvertes à tous les vents. Nous sommes le lieu d’une symbiose particulière, où le développement de la démocratie s’est adossé sur la construction d’États sociaux. D’où le fait qu’il y ait un désir d’Europe au risque de sa vie chez les victimes de la mondialisation ou de l’échec des décolonisations ou des révolutions. Cette même mondialisation bouscule les structures sociales européennes construites sur la longue durée. Dépassionner le débat ne peut passer par nier les difficultés mais suppose au contraire de les affronter afin de rassurer les plus démunis de nos concitoyens, qui considèrent comme injuste qu’on leur fasse en permanence l’injonction d’accueillir les plus démunis qu’eux alors qu’ils ont des craintes quant à l’avenir de leurs enfants.