Donald Trump demande beaucoup trop aux droits de douane. Ses tarifs réciproques témoignent en particulier d’une incompréhension fondamentale du commerce bilatéral, souligne l’économiste Lionel Fontagné.
Les droits de douane américains poursuivent plusieurs objectifs : réindustrialiser, soulager le budget fédéral, faire payer les partenaires commerciaux pour les biens publics fournis par les Etats-Unis (monnaie internationale, protection militaire), déprécier le dollar, endiguer le rattrapage de la Chine, enfin réduire le déficit commercial.
Cela fait beaucoup d’objectifs pour un seul instrument. Certains peuvent toutefois être atteints simultanément, comme faire payer les partenaires et remplir les caisses, en vertu du principe du droit de douane optimal. Les exportateurs étrangers absorberont dans leurs marges une partie des droits de douane pour éviter que leurs prix n’augmentent trop : les importations baisseront moins, au bénéfice des recettes pour le budget.
Déficits bilatéraux
Pour simplifier une séquence d’annonces chaotique (nous négligeons en particulier la surenchère de représailles avec la Chine), il y a d’un côté un droit de douane uniforme de 10 % sur l’ensemble des importations américaines, et une grille de droits « réciproques » calculés à partir d’une formule supposée éradiquer les déficits commerciaux bilatéraux.
Le déficit commercial américain va-t-il baisser ? Ce déficit est le résultat d’un déséquilibre entre la dépense et les revenus américains, dont la contrepartie nécessaire est l’entrée de capitaux aux Etats-Unis. S’agissant d’une question macroéconomique, des droits de douane concentrés sur un seul partenaire commercial, comme lors de l’épisode protectionniste de 2018, ne changent donc rien à l’affaire. Chassés par la porte, les produits chinois rentrent par la fenêtre.
La mesure actuelle, 10 % pour tous les partenaires, est d’une autre nature. Ce sont toutes les importations qui sont plus chères pour les consommateurs américains, ce qui modifie le prix relatif des biens (échangeables) et des services (non échangeables) aux Etats-Unis. La consommation se déplace vers les seconds, pas seulement vers les produits américains.
La mesure actuelle, 10 % pour tous les partenaires, est d’une autre nature. Ce sont toutes les importations qui sont plus chères pour les consommateurs américains, ce qui modifie le prix relatif des biens (échangeables) et des services (non échangeables) aux Etats-Unis. La consommation se déplace vers les seconds, pas seulement vers les produits américains.
Et pour les producteurs américains, un droit de douane joue par symétrie le rôle d’une taxe à l’exportation. Il devient plus profitable de produire pour le marché intérieur. Ceci fait baisser les exportations américaines, mais comme l’écart entre importations et exportations s’applique maintenant à des volumes de commerce réduits, le déficit commercial baisse mécaniquement.
Le dollar inutile
Mais alors pourquoi seulement 10 % ? Est-ce le droit de douane optimal ? Il serait possible de faire encore plus les poches des partenaires commerciaux ! Un peu de retenue se justifie par le risque de représailles commerciales, et parce que cet enrichissement américain augmente la valeur des créances nettes du reste du monde sur les Etats-Unis, contrepartie des déficits passés (26 trillions de dollars fin 2024). C’est autant en plus que les Etats-Unis devront rembourser demain.
L’idée des droits de douane réciproques a quant à elle provoqué une sidération parmi les économistes. Et ceci, parce qu’elle s’appuie sur les déficits bilatéraux, et non sur le déficit global. Dans une économie moderne, et non de troc, les échanges bilatéraux n’ont pas besoin d’être équilibrés. Dès le XIIIe siècle avant JC, les Cauris, un coquillage, jouaient ce rôle d’intermédiaire facilitant les échanges entre nations commerçantes. Ils ont été depuis remplacés par le dollar. Vouloir éliminer les déficits bilatéraux, c’est concevoir l’économie globale comme une sorte d’économie de troc, rendant au passage le dollar à peu près inutile.