Le prix de l’or est à son plus haut, poussé notamment par les tensions commerciales internationales et les incertitudes qu’elles engendrent. Jusqu’où peut monter le métal précieux ? Selon Jean-Paul Pollin, la poursuite de la flambée des cours n’est pas forcément inscrite à court et long terme
La semaine dernière, le prix de l’or a battu son record historique en se fixant, en séance, à 3 500 dollars l’once, après avoir gagné 23% en 3 mois. Durant la même période, l’indice Dow Jones perdait 11%, l’Euro Stoxx 50 1%, et le CAC 40 5%. D’autres indicateurs, notamment les primes de risque et leur volatilité, attestent d’une très forte incertitude sur les marchés financiers, qui explique que l’or ait retrouvé son statut de valeur refuge privilégiée, réfutant ainsi une nouvelle fois le terme de « relique barbare » dont Keynes le qualifiait.
L’origine de cette incertitude n’est pas ordinaire. Elle est sans doute le résultat de conflits armés qui surprennent parce qu’ils concernent plus directement les pays occidentaux. Mais elle est aussi le produit de décisions d’un président des Etats Unis qui semblent échapper à toute logique et qui se succèdent en se contredisant d’un jour sur l’autre. On comprend que les marchés financiers en soient déstabilisés.
Les périodes d’incertitude ont très souvent donné lieu à des arbitrages en faveur de l’or. Mais ces comportements de précaution consistaient aussi (de la part des agents privés comme des banques centrales) à se désengager des actions pour placer en obligations et en particulier en titres de dettes publiques. Au plan mondial cela profitait aux dettes américaines du fait de la puissance de l’économie US et de la place prédominante du dollar dans le système financier international. Mais, dans la situation actuelle, les risques d’inflation et de récession aux Etats Unis, induits par la comédie des droits de douane, suscitent des craintes sur la valeur des dettes publiques du pays. Il en est de même des menaces proférées contre l’indépendance de la Fed, ainsi que des rumeurs concernant une stratégie visant à faire baisser le cours du dollar pour offrir un avantage compétitif à l’économie américaine. Tout cela incite naturellement à renforcer par comparaison la valeur refuge de l’or.
Que peut-on alors tirer de ces observations pour tenter de prévoir l’évolution de son cours ? A court terme il est permis d’espérer que Donald Trump en vienne à modérer ses conceptions et déclarations excessives : à défaut d’adopter des raisonnements plus orthodoxes qu’il ne maitrise pas, il semble au moins être devenu sensible aux désordres que ses initiatives provoquent. Cela devrait réduire sérieusement l’incertitude actuelle et limiter, voire stopper, la flambée du cours de l’or dans l’immédiat. Les conflits armés resteront toutefois un sérieux obstacle à une véritable normalisation. Mais le pire est-il à venir ?
Prévoir les cours à plus long terme suppose que l’on identifie les principaux facteurs déterminant les évolutions à venir de l’offre et de la demande d’or. En ce sens, on retiendra que ses coûts de production progressent depuis longtemps et de façon significative du fait de la baisse de la teneur en métal des mines exploitées. Quant à la demande (qui correspond à des besoins industriels, de bijouterie-joaillerie et de thésaurisation), la forte croissance qu’on lui prédit serait principalement due à la volonté de certains pays (essentiellement les BRICS) d’affaiblir la prédominance du dollar en le remplaçant par l’or en tant qu’actif de réserve. De fait, la déconstruction de la mondialisation que nous vivons depuis plusieurs décennies, et que DOnald Trump contribue à accélérer, devrait effectivement remettre en cause cette prédominance.
Dans le monde multipolaire qui se prépare, il est probable que d’autres monnaies, l’euro et le renminbi notamment, prendront en partie la place de la devise américaine. Ce qui élargira le champ de protection et de diversification des réserves des banques centrales. Cela réduira certes la part du dollar, mais elle devrait aussi réduire celle de l’or. L’idée d’un cycle haussier de l’or justifié par sa thésaurisation mérite donc d’être revue en prenant en compte les transformations qui s’annoncent du système financier international. Plus généralement, la thèse, aujourd’hui à la mode, d’une poursuite à court et long terme de la hausse du prix de l’or n’est pas à ce stade vraiment convaincante.