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Le marché actions a perdu ses repères

Il existe un certain nombre de raisons d’être serein quant à l’évolution des marchés d’actions, et notamment le marché américain : dépenses d’investissement élevées, profits en hausse solide et régulière, comptes sains à la fois des ménages et des sociétés, tendance baissière des taux d’intérêt et politique de dérégulation favorable à la croissance. Pour Bertrand Jacquillat, cette opinion va l’encontre des craintes sérieuses quant aux valorisations des marchés financiers.

Même si le pire n’est pas toujours certain, mais il n’est pas impossible qu’une sévère correction, sinon un krach, puisse se produire. Mais quand, dans ce cas ? Les grandes innovations industrielles, et celle de l’IA en est une majeure, ne se déroulent pas comme un long fleuve tranquille, elles sont semées d’embûches et d’à coups, notamment sur le plan des valorisations boursières. La précédente révolution, celle de l’internet, avait engendré une bulle. Celle-ci fut affublée du terme d’exubérance irrationnelle par le président de l’époque de la Banque centrale américaine, Alan Greenspan.

Une bulle de l’IA ?

Celui-ci avait vu juste, mais beaucoup trop tôt. Entre la date de son avertissement et l’éclatement effectif de la bulle internet, il s’écoula plus de deux ans pendant lesquels l’indice NASDAQ fit plus que doubler de valeur, pour effectivement chuter de 70% à la suite de l’éclatement de la bulle. Ainsi les fluctuations boursières connaissent des formes sinusoïdales dont les amplitudes sont variables. D’aucuns sont tentés de faire un parallèle entre la bulle internet et ce qui serait actuellement une bulle IA, notamment à propos des valorisations particulières de deux sociétés phare de la tech américaine : Nvidia et Tesla.

Au niveau macro-financier, la pierre angulaire de la théorie financière moderne donne des signaux paradoxaux en contradictoires avec le simple bon sens. Ce fut notamment le cas. L’un de ses principaux piliers, la relation rentabilité-risque formalisée dans le fameux modèle d’équilibre des marchés financiers, le Capital Asset Pricing Model. Celui-ci ne faisait que formaliser le fait que les investisseurs n’accepteraient de prendre davantage de risque que dans l’espoir d’en recevoir un surcroit de rentabilité. Sous la forme d’une prime de risque. Cette prime de risque est devenue proche de zéro, voire négative. Une prime de risque aussi faible, phénomène excessivement rare qui ne s’était presque jamais produit, est le reflet de taux d’actualisation très bas et de prix des actifs financiers élevés.

Les investisseurs inquiets

C’est bien d’ailleurs ce que nous avions fait apparaitre dans notre chronique jumelle consacrée à Nvidia et Tesla. Il y a un engouement très fort des investisseurs pour le marché des actions américain. La valorisation actuelle de Nvidia traduit implicitement des anticipations de cash flow très élevées ans le futur, tellement élevées que ceux-ci dépasseraient un jour le PIB mondial ! Quant au package de 1.000 milliards de dollars promis à Elon Musk, certes sous certaines conditions particulièrement drastiques de niveaux de performance opérationnelle et financière à atteindre. Si ceux-ci étaient atteints, ils pourraient forger le nouvel adage « impossible n’est pas « muskien ». Nvidia et Tesla ne sont pas des cas isolés. Ils sont représentatifs du secteur de la Tech coté principalement sur le NASDAQ. Ils sont la manifestation de l’engouement des investisseurs pour l’IA.

La remontée du NASDAQ depuis le mois d’avril masque les craintes croissantes des investisseurs internationaux, de plus en plus préoccupés de ne pouvoir rapatrier leur investissement américain dans des conditions convenables. Cette inquiétude ressort du fait que 80% des flux financiers qui s’investissent actuellement sur le marché américain donnent lieu à une couverture de leur investissement par crainte d’une continuation de la baisse de la devise américaine, alors que ce taux de couverture n’était que de 20% au mois de janvier 2025 selon les estimations de Gilles Saravelos, responsable mondial de la recherche devise chez Deutsche Bank.

Limiter l’exposition au dollar

Les investisseurs étrangers sont revenus à l’achat d’actifs américains mais ils ne veulent pas de leur exposition dollar. La situation n’est pas près de se modifier, car le couple hausse des actions américaines et dollar faible convient parfaitement au président des Etats-Unis. Ce faisant celui-ci veut favoriser l’industrie américaine à la fois au travers de la bourse, au dopage des exportations et au frein des importations. C’est Benjamin Graham, le doyen des analystes financiers, qui a ainsi défini la bourse : « In the short term, the market is a voting machine, in the long term it is a weighting machine » (le marché des actions est à court terme une machine à voter, et à long terme une machine à peser). C’est à cette question que se sont intéressés deux universitaires Xavier Gabaix d’Harvard et Ralph Koijen de Chicago dans leur étude « In search of the origins of financial fluctuations, the Inelastic Markets Hypothesis » selon laquelle les variations dans la demande de titres sont peu sensibles à leurs variations de prix. Selon eux les facteurs déterminants de la valorisation des actifs financiers sont les flux financiers.

L’entrée et la sortie de flux de capitaux ont beaucoup plus impact que ce que l’on pensait : l’élasticité prix de la demande de titres est faible. Il y a plusieurs raisons à cela qui tiennent aux transformations du système financier. D’abord la domination de la gestion passive qui représente la majorité des fonds gérés dans le monde. Celle-ci ne fait qu’amplifier les variations de prix. Aussi les règlementations de plus en plus contraignantes s’imposent aux grandes institutions financières et de gestion. Celles-ci rendent la gestion moins flexible en restreignant par exemple les possibilités d’arbitrage. Les marchés financiers semblent avoir perdu leurs repères traditionnels. De nouvelles théories cherchent à leur en donner de nouveaux.

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