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Afrique, quels leviers pour la croissance ?

AfriquePaysage

Taux de croissance attractif, population jeune, ouverture rapide aux nouvelles technologies… l’Afrique subsaharienne a un très bel avenir. Quels outils pour la croissance ? Quels investissements pour demain ? Quel modèle de développement durable ? Comment faire en sorte que l’Afrique se porte mieux malgré ses propres défis.

Décryptage éco réalisé à l’occasion des 1ères Rencontres Economiques de Dakar organisées par le Cercle des économistes, les 12 et 13 mars 2013.

 

SOMMAIRE:

Les termes du débat

Le sujet dans la théorie économique

Le regard économistes

Introduction

 Contrairement aux idées reçues, de nombreux pays africains affichent de bonnes performances en termes de croissance économique. C’est notamment le cas de la République Démocratique du Congo, du Mozambique ou du Ghana, il en va de même pour d’anciens pays en guerre comme le Rwanda ou l’Ouganda.

Longtemps laissés en marge des performances économiques mondiales, l’Afrique se présente aujourd’hui comme un continent qui a su en grande partie traverser la crise rencontrée par les pays du Nord, les pays européens. Une question est souvent posée lors de colloques consacrés au sujet : doit-on parler d’une « Afrique » ou des « Afriques», entre les pays francophones et anglophones ?

La langue n’est pas le seul facteur différenciant. Il en va également des infrastructures routières, téléphoniques, des facteurs technologiques, de santé, d’éducation, des ressources naturelles et des préoccupations environnementales. L’avis des experts est quasiment unanime et la phrase est souvent entendue : « l’Afrique est à la fois le berceau de l’humanité et le continent de l’avenir ».

Ses grandes richesses : la jeunesse de sa population – faut-il rappeler que 60% des Africains ont moins de 30 ans ? Ses ressources naturelles ou encore l’adoption des technologies numériques. Autant de leviers de croissance que ce Décryptage économique veut mettre en perspective, en attendant les conclusions des Rencontres économiques de Dakar. Ces dernières feront l’objet d’un complément documentaire consultable ici même, en complément d’information.

I. Comprendre l’économie de l’Afrique subsaharienne aujourd’hui

Afrique, terre de richesses

– Richesses naturelles

Placée au centre de la géopolitique de l’énergie et des ressources minières, l’Afrique est, et sera, de plus en plus confrontée aux problématiques liées au changement climatique, menaçant particulièrement son agriculture. 70% de la population vit dans les régions rurales.

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Le Dessous des Cartes, Retour d’Afrique, Arte, 2009

Comme il est illustré par la carte ci-dessus, les pays de l’Afrique subsaharienne ont de nombreux gisements en matières premières, notamment pétrolière et métalliques. Ces matières premières ont une importance primordiale dans la transition énergétique à l’échelle mondiale, dans la mesure où les énergies renouvelables nécessitent des biens d’équipements (Vidal et al., 2013).

L’exploitation du secteur minier africain attire de nombreux investissements de la part de pays en développement, tel que la Chine , cherchant à produire ces biens d’équipements nécessitant pour leurs productions métal et pétrole.

Pour que l’Afrique dépasse sa dépendance à l’aide internationale, il revient aux autorités africaines d’optimiser ses relations avec les partenaires économiques. L’exploitation et l’exportation de ses ressources naturelles doivent servir les intérêts des africains, en matière d’investissements dans les services publics de base et la création d’emplois.

– Richesse de sa jeunesse

En raison d’une forte natalité, l’âge moyen de la population africaine est moitié moindre que celle du reste du monde, et inférieure des deux tiers à l’âge moyen de la population latino-américaine. La jeunesse du continent noir est donc une richesse à considérer comme un important levier de croissance.

Mais elle peut représenter une bombe. Celle d’une jeunesse peu, mal ou pas formée, en déshérence, poussée au désespoir, un chômage élevé étant susceptible d’entraîner un mécontentement social incontrôlable.

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Croissance démographique des pays d’Afrique subsaharienne sur la base de la population total

 

– Richesses technologiques

Si l’Afrique regorge de ressources naturelles, elle recèle également des infrastructures dignes des plus hautes technologies, particulièrement en matière de télécommunications. Nombreux sont les exemples récents d’investissement de la part d’opérateurs étrangers, dont les français Orange ou Bolloré.

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Les investissements de l’opérateur Orange en Afrique

Ce secteur est d’autant plus important pour la croissance du continent africain qu’il constitue une véritable grappe d’innovation pour de nombreux domaines de l’économie africaine comme le monde des affaires ou le secteur bancaire.

Le système de paiement par téléphone mobile ou « m-paiement »  est l’une de ces innovations qui a profondément changé le visage du secteur bancaire où les opérateurs de la téléphonie concurrencent ouvertement les banques.

De nombreux freins à la croissance africaine

– Pauvreté, l’autre facette de l’Afrique

La pauvreté est une des questions qui hante, aussi, le continent africain. Question centrale pour le continent, peut-être encore plus prégnante que pour d’autres régions de la planète. Les économies d’Afrique subsaharienne sont, pour la grande majorité, toutes classées dans les vingt premières économies les plus pauvres selon le classement IPH-1 du programme des Nations unis pour le développement.

Les moyens de subsistance d’une grande partie de la population pauvre d’Afrique dépendent du milieu naturel, entre exploitations agricoles, de pêche ou de forêts. Mais comme le rappellent régulièrement les responsables de l’ONU, l’accès à ce capital terrien exclut tout droit de propriété ou ne peut pas se transformer en capital financier.

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Classement PNUD indicateur IPH-1

 

– Un manque d’infrastructure pour les investissements

« L’intérêt des grandes puissances vis à vis de l’Afrique est un indicateur des potentialités de développement qui existent dans cette zone », estime le scientifique sénégalais Farba Faye. L’Afrique est un continent qui tend à devenir un marché porteur pour les économies européennes, comme souligne le cabinet Deloitte .

Cependant, comme le relève une étude d’Havas Horizons , la constitution d’un cadre politique, fiscale et réglementaire est un enjeu majeur en Afrique pour permettre d’accompagner les entreprises étrangères souhaitant investir dans les pays africains à court et moyen terme.

Le manque d’infrastructure physique, tels que les routes et les hôpitaux, marque la fragilité de la structure des économies d’Afrique subsaharienne.  Ce constat, comme exposée par Ngozi Okonjo-Iweala , met en lumière la nécessité des économies africaines de s’atteler à répondre aux problèmes structurels pouvant porter la croissance africaine.

 

– « Ebola » et le risque sanitaire en Afrique subsaharienne

L’épidémie de fièvre Ebola a profondément marqué le continent noir de son incapacité à pouvoir répondre aux nombreuses maladies, malgré l’existence de traitement et de mesures de prévention au niveau international. Cette problématique sanitaire est d’autant plus édifiante que l’activité économique et la croissance africaine s’est ralentie durant cette épidémie comme observé par la Banque Mondiale.  Sur le même temps, il est constaté par le FMI (2015) une chute des investissements directs à l’étranger pouvant laisser à supposer une crainte de ces investisseurs compte tenu du risque sanitaire important.

La difficulté de rétablissement économique suite à cette épidémie marque l’importante de considérer le risque sanitaire comme prioritaire en Afrique subsaharienne afin d’éviter des « effondrements » des perspectives de croissance de ces économies.

 

II. Entreprendre autrement l’Afrique subsaharienne à travers la théorie économique

 

Afrique subsaharienne, terre d’avenir

– Un « eldorado » pour les entreprises étrangères

« L’Afrique, sous explorée et sous exploitée, prend des allures d’eldorado pour les petites et grandes compagnies » estime Etienne Viard, directeur général de la revue africaine Proparco.

Les causes sont multiples : une croissance démographique de l’ordre de 2,5% par an, la montée en puissance des classes moyennes africaines, des réformes des systèmes publiques et réglementaires ou l’amélioration du climat des affaires et de l’environnement macroéconomique.

Autant de facteurs que d’opportunités commerciales pour les entreprises étrangères, comme on le constate dans les secteurs miniers, du BTP ou de la téléphonie.

Malgré une disparité des trajectoires de croissance, comme mentionné par le FMI (2015), les pays d’Afrique ont des marchés libéralisés avec de forts potentiels de rentabilités pour les investisseurs extérieurs. De nombreux marchés sont à « créer » en Afrique. Les entreprises étrangères peuvent ainsi apporter des compétences et une logistique manquantes ou peu fiable pour appuyer la croissance de ces pays.

 

– Une Afrique libéralisée

Comme mentionné dans le rapport au ministère de l’économie et des finances (2013), les libéralisations sur le continent africain ont permis une forte croissance des échanges entre les pays de l’Afrique subsaharienne et le reste du monde dans la période allant de 2000 à 2011. Les libéralisations commerciales et financières ont contribué à permettre une diversification des financements et soutenir le financement des infrastructures.

Souligné par Ngozi Okonjo-Iweala, ces libéralisations ont contribué au développement et à la diversification sectorielle des économies d’Afrique, notamment au Niger, en permettant la multiplication des acteurs économiques sur les différents marchés porteurs.  Elles ont également permis de contribuer à stabiliser l’environnement macroéconomique et monétaire de ces économies.

Elles ont également permis de contribuer à stabiliser l’environnement macroéconomique et monétaire de ces économies. Le problème d’inflation était pour la majorité de ces économies un frein important à la croissance, notamment pour le Zimbabwe connaissant une situation d’hyperinflation en 2008.

Cependant, la libéralisation des économies d’Afrique subsaharienne doit être appuyée par une gouvernance et un climat des affaires équitable et transparent pour permettre à ces économies d’avoir la confiance des investisseurs étrangers.

Les moyens, ou comment faire émerger un leadership africain ?

– La formation de la Jeunesse africaine

Le continent est en train de renforcer et d’améliorer son système d’éducation et de formation pour produire des ressources humaines capables de concurrencer avec les grandes puissances dans tous les domaines.

La dynamique démographique est le premier motif d’investissement en Afrique comme il est souligné dans l’étude Havas Horizons . Cet accroissement de la population pose la nécessité de développer des infrastructures de formation permettant de former une génération capable de développer des infrastructures et une logistique fiable, facteurs important pour les investissements directs à l’étranger comme il est mentionné par Deloitte

De plus, le développement du système d’éducation et de formation doit pouvoir répondre aux besoins des entreprises et du gouvernement, cherchant des techniciens spécialisés. Une coopération entre l’Etat, les entreprises et les établissements d’éducation et de formation doit être engagé pour permettre de structurer l’économie des pays africains autour d’une base stable.

La formation de ce « baby boom » africain est une clé pour la croissance économique de l’Afrique subsaharienne pouvant donner la capacité aux différents systèmes de connaitre une croissance prospère à long terme .

 

– La recherche et développement

L’Afrique doit soutenir la recherche dans tous les domaines du développement notamment dans le domaine des sciences biomédicales, physiques et d’ingénierie. Il faudra créer des pôles de formation d’excellence pour les secteurs clés du développement et faciliter aussi la mobilité des experts africains dans le continent et dans les grandes puissances pour le renforcement de leurs capacités.

Le secteur de la recherche et développement est un levier de croissance à ne pas négliger dans la mesure qu’il permet d’améliorer sensiblement les secteurs les plus fragiles des économies africaines, notamment le secteur de la santé et de l’éducation.

Ce secteur permet également de consolider des marchés voués à croitre comme le secteur de l’énergie électrique qui reçoit d’importants investissements de la part de pays développés, tel que la France, et de pays en développement, tel que la Chine. D’autres secteurs doivent être sujet à ce processus d’intensification de la recherche et développement, notamment les secteurs de la fabrication manufacturière intensif, de l’agro-industrie et des matières premières minières qui constituent des « voies prometteuses pour la transformation » des économies africaines.

Ainsi, les différents secteurs de l’économie africaine doivent chercher à intensifier leurs activités de recherche et développement pour développer de nouveaux modèles opérationnelles et innovants pour répondre aux différents enjeux structurels de ces pays.

 

– Une diversification sectorielle nécessaire

L’Afrique a longtemps été un marché de consommation et de sous-traitance pour les pays développés et en voie de développement. Le développement du marché intérieur de ces économies est une nécessité pour pousser la croissance africaine.

La perspective de montée en puissance des classes moyennes dans de nombreuses économies d’Afrique subsaharienne, comme mentionné par Deloitte, souligne une tendance à un accroissement de la demande.

Cette tendance expose la nécessité d’une diversification sectorielle permettant d’offrir une offre diversifiée à cette future demande et soutenir la croissance anticipée de l’Afrique. Cette diversification, notamment dans les secteurs énergétiques, permettrait également de résoudre la problématique de la dépendance de la majorité des pays d’Afrique subsaharienne aux exportations de matières première et importations de biens de consommations.

L’importance d’une diversification des économies africaines est soulignée, comme exposée par le groupe de la Banque mondiale (2014), par de nombreux risques liés à une concentration excessive des exportations sur les économies africaines. Ces risques peuvent avoir pour corollaire la formation d’une « structure duale de l’économie avec un faible effet d’entraînement du secteur productif dominant sur les autres secteurs », un accroissement de la « vulnérabilité » et de la « volatilité » de l’économie ou une dépendance accrue aux financements étrangers, comme on peut le constater avec les investissements chinois.

La rupture est nécessaire pour faire de l’Afrique l’une des plus importantes et dynamiques économies dans le monde avec un profil international dans les domaines financier, électronique, de l’innovation technologique et de la recherche scientifique.

III. La vision de 7 économistes

 

SYLVIE BRUNEL 1Sylvie Brunel (Economiste, Géographe, Professeur Paris IV-Sorbonne)

Afrique, futur dragon de la mondialisation ? « Après avoir été vue comme le continent de tous les fléaux (misère, sida, guerres civiles, corruption, etc.), l’Afrique serait-elle enfin en train de décoller ? », s’interrogeait l’économiste et géographe Sylvie Brunel dans un article paru dans le mensuel Sciences Humaines en avril 2011. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts mais la question vaut toujours. « À l’occasion du cinquantenaire des indépendances (en 2010, NDLR), une avalanche d’articles, de dossiers et de livres a paru sur le sujet. Tous annonçaient la bonne nouvelle : l’Afrique va bien. Avec 5 % de croissance économique annuelle en moyenne, elle est entrée depuis le début des années 2000 dans ses Trente glorieuses à elle. Des économies désendettées et bien gérées, une classe moyenne en forte croissance, des investissements qui affluent, l’Afrique apparaît désormais comme un continent émergent. Que faut-il penser de ce retournement spectaculaire ? Est-ce un retour à la case départ après deux décennies de convulsions ? »... Pour Sylvie Brunel, il convient de relativiser.

L’Afrique reste le continent de la faim. Selon l’économiste, ce nouvel « apartheid entre une faune et une flore » portées au pinacle et des populations cantonnées dans des espaces de relégation n’est pas anecdotique : « il symbolise les écarts e développement croissants entre les riches et les laissés pour compte de la rising Africa ». Sylvie Brunel n’en démord pas : « gommer aujourd’hui tous les dysfonctionnements du continent est aussi mensonger que de l’avoir résumé hier à la désespérance. Car l’Afrique reste un continent riche peuplé de pauvres. Et si une classe moyenne émerge, forte de 300 millions de personnes (autant que celle de l’Inde !), plus de la moitié de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté ».

L’Afrique progresse.  L’auteur reconnaît que l’Afrique est sortie de la décennie du chaos. « Mais, poursuit-elle, on oublie qu’il est plus facile d’afficher des performances insolentes quand on part de très bas que lorsqu’on occupe le sommet. Parler de rattrapage serait prématuré. Simplement, le monde découvre ce que les Africains savent depuis longtemps : même dans les pires moments, les sociétés africaines se sont toujours caractérisées par une force de résilience exceptionnelle, liée à la mobilité, aux réseaux et à une capacité d’adaptation hors du commun ».

La force de la démocratie. L’économiste estime que « Seules de véritables politiques visant à rééquilibrer les territoires (…) et à mieux répartir les fruits de la croissance permettront à la rising Africa de ne pas faire mentir sa désormais flatteuse réputation ». Cela impose des Etats représentatifs, donc démocratiquement élus, et soucieux de l’intérêt général, « pas des Etats qui se contentent de respecter les apparences de la légalité pour flatter des bailleurs de fonds que la perspective d’avoir accès à de fabuleux gisements encore largement inexploités frappe de cécité », conclue Sylvie Brunel.

« Sciences Humaines », avril 2011.

 

Suwa-Eisenmann Akiko cropAkiko SUWA-EISENMANN  (Cercle des économistes)

L’Afrique est-elle devenue un nouvel eldorado pour les investisseurs ? Oui, répond sans sourciller Akiko Suwa-Eisenmann : « L’Afrique est indéniablement une terre d’opportunités. La croissance depuis 2005, est tirée par la hausse du prix des ressources naturelles : pétrole, or, diamants, cuivre, bauxite, mais aussi caoutchouc, café, cacao, huile de palme ou noix de cajou. Grâce à la croissance démographique, l’Afrique a désormais assez de main d’œuvre pour intensifier son agriculture, développer une industrie de transformation autour de l’agriculture, ou des services, et passer à la vitesse supérieure, comme en Asie ».

Et l’économiste d’ajouter qu’ « en outre, plusieurs pays sortent d’années de guerres ou de dictature, des gouvernements démocratiquement élus arrivent au pouvoir et doivent répondre aux attentes de leur population. Le résultat, c’est une croissance de 5% par an depuis 2005, qu’il faut certes diviser par deux quand on tient compte de la croissance démographique, mais même à 2,5% par an, c’est une opportunité historique ». Les exemples abondent. Non seulement en Afrique de l’Est comme le Rwanda, l’Ethiopie, l’Ouganda, mais aussi en Afrique de l’Ouest, qui devrait croître plus vite que le reste de l’Afrique, mené par des pays comme le Nigeria, le Ghana ou la Côte d’Ivoire.

Cependant, les Etats restent fragiles. « L’abondante main d’œuvre n’est pas qualifiée, donc pas employable », relativise l’économiste. « Les économies sont à la merci d’un retournement des cours des matières premières comme durant ces quatre dernières années, et du départ des compagnies minières étrangères. A plus long terme, le boom minier n’aura qu’un temps, et il faut dès maintenant se préparer « à l’après » ».

Comment transformer l’essai ? Akiko Suwa-Eisenmann avance plusieurs pistes : « Tout d’abord, les pays doivent investir : améliorer la formation de la main d’œuvre. Il manque des techniciens, des comptables, des électriciens, des logisticiens, des conducteurs de machines ». Autre solution : « les pays doivent aussi investir dans du capital tout court, le plus irremplaçable étant les routes à l’intérieur des pays, condition à la création d’un marché régional ». Au vu de la fragilité de l’essor africain, « il faut qu’un investisseur ait les reins solides. Ce serait, soit des investisseurs connaissant bien le contexte local (qui pourraient être issus de la diaspora ou venir de pays voisins) et qui ont pignon sur rue : c’est à dire, qui se conforment aux normes de bonne conduite internationale ; soit des multinationales vis-à-vis desquels les ONG du Nord jouent un rôle indispensable de chiens de garde », précise Akiko Suwa-Eisenmann.

 

yves marie laulan 2Yves-Marie LAULAN  (Economiste, géopoliticien, démographe)

L’enjeu démographique. A l’instar des démographes onusiens, Yves-Marie Laulan souligne qu’en 2010, « l’Afrique compterait 4,2 milliards d’Africains, contre 1,2 milliard aujourd’hui. Cela représenterait donc un quasi quadruplement de la population actuelle. L’Afrique deviendrait ainsi un géant démographique aux proportions colossales. Dès lors, l’Afrique à elle seule, formerait presque la moitié de la population de la planète, 45% très exactement. Mais, chose remarquable, sa population serait près de neuf fois plus importante que celle de notre Europe, laquelle devrait rester autour de 500 millions d’habitants, comme aujourd’hui ». Ce rapport de forces souligné par Yves-Marie Laulan (Afrique, le cauchemar démographique, actes de colloque, L’Aencre) renforce l’impératif d’accompagnement du développement de l’Afrique dans ses propres murs.

Derrière les chiffres, la géopolitique. Le fondateur de l’Institut de Géopolitique des Populations interroge : en termes de croissance économique, « l’Afrique pourra-t-elle se développer et nourrir cette énorme population supplémentaire au cours de ce siècle ? Et, si oui, à quelles conditions ? Pas seulement la nourrir, mais aussi la loger, la soigner, l’employer, etc… ». Corollaire : « si l’Afrique ne parvient pas à se nourrir convenablement, les flux migratoires vers l’Europe ne vont-ils pas se gonfler démesurément ? ».

Gérer sur place pour ne pas subir ailleurs. Yves-Marie Laulan insiste sur le fait qu’ « une chose est de maîtriser plus ou moins les flux de l’ordre de dizaines de milliers par an. Mais des flux de centaines de milliers, voire de centaines de millions de candidats à l’émigration, posent un défi d’une toute autre dimension ». Chassés par la misère et le désespoir, « ces migrants vont se présenter aux portes de l’Europe à la recherche d’une vie meilleure, les trois S caractéristiques : Sécurité physique, Sécurité sociale, Subsistances. Cet afflux ne va pas manquer de susciter des réactions de xénophobie très violentes ». « Nos démocraties sont-elles capables de résister à ce tsunami ? », s’interroge l’économiste, précisant que, comme toujours, en démographie, « tout est une question de chiffres, de nombres, de volumes ».

Pastré Olivier cropOlivier PASTRE  (Cercle des économistes)

Croissance, vous avez dit croissance« Nous sommes passés de l’afro-pessimisme – jusqu’au début des années 2000 – à un afro-optimisme, qui mérite d’être nuancé. Certes, l’Afrique subsaharienne a connu un taux de croissance annuel de l’ordre de 5% au cours des dix dernières années, mais la question posée est de savoir si cette croissance est équilibrée. Ce n’est pas du tout certain », estime Olivier Pastré. Selon l’économiste, il serait illusoire de penser que l’on peut envisager « un développement durable de l’économie africaine portée uniquement par les télécommunications et secteur bancaire ».

Pistes d’actions. « Autant je crois au potentiel de développement de l’Afrique subsaharienne grâce, en large partie, à la qualité de sa jeunesse qui est globalement bien formée, autant il est indispensable de diversifier et de régler trois problèmes ». Et l’économiste de citer : les dysfonctionnements de nombreuses administrations ; les infrastructures insuffisamment modernisées dans beaucoup de domaines ; la nécessité de rééquilibrer le secteur industriel « en faveur d’une agriculture plus moderne, en direction d’industries se situant entre le haut de gamme – qui n’est aujourd’hui technologiquement pas accessible – et le bas de gamme, sur lequel l’Afrique ne concurrencera jamais certains pays émergents ». Donc, pour l’industrie locale, l’avenir est le moyen de gamme où le potentiel est immense, « que ça soit en matière électrique, mécanique, composants automobiles, etc… », précise Olivier Pastré.

Organismes de financement internationaux. Selon l’universitaire, ces grandes institutions sont, dans la majorité de leurs projets, complètement « à côté de la plaque car elles focalisent leurs financements, non négligeables, sur les infrastructures qui constituent un vrai problème, mais qu’une partie du problème ». L’impératif absolu est le financement des PME africaines, si possible en fonds propres, « ce pour quoi l’écrasante majorité des organismes de financement internationaux sont peu adaptés », insiste Olivier Pastré. « Donc, une partie importante de l’avenir de l’Afrique subsaharienne tient à la mise en place d’organismes de financement en fonds propres des PME, en acceptant le risque de défaut qui est infiniment moins grave que pour certains pays comme la Grèce ou… les Etats-Unis », conclut l’économiste.

 

Roux Dominique cropDominique ROUX  (Cercle des économistes)

Ressources naturelles. Les ressources naturelles de l’Afrique représentent un poids très élevé de l’économie du continent : 10% de la production totale et 50% des exportations. Mais pour Dominique Roux, « le problème fondamental est qu’il faudrait, tout simplement pour les gérer de manière optimale, transformer ces matières premières de telle sorte que l’on n’exporte pas un produit sans valeur ajouté. C’est par ce biais que l’on pourra transformer des structures de production en Afrique ». L’universitaire estime qu’ « au delà de l’aspect économique, le fait de pouvoir dominer et contrôler ces ressources naturelles serait une force d’indépendance plus grande ».

Afrique, terre d’innovation. « L’innovation commence en Afrique, mais encore de manière limitée et réduite car ce ne sont pas des pays très riches et ils n’ont pas les moyens que nous avons en Europe pour développer la recherche et, ensuite, passer à l’innovation », analyse Dominique Roux, qui poursuit : « néanmoins, il commence à y avoir des progrès intéressants et des innovations remarquables dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie et des télécommunications ». L’Afrique n’ayant pas de véritables moyens de télécommunications jusqu’à un passé relativement proche, le rôle du mobile est devenu considérable sur le continent car il permet de sortir de son isolement. « Le pays qui utilise le plus le mobile pour le e-banking (la banque sans contact) c’est le Ghana. 80% du paiement dans ce pays se fait par le mobile », aime à citer comme exemple l’économiste.

Innovations intéressantes en agriculture. Au Sénégal, une plateforme permet de mettre en relation les producteurs agricoles et les grossistes. Plusieurs milliers de personnes y adhèrent. Enfin, «  des petits jeunes du Burkina Faso ont créé le « Burkéso », un savon qui repousse les moustiques et tue les larves ». « Il y a donc un mouvement en marche mais il manque de moyens financiers et c’est uniquement grâce à ces moyens que l’on pourra développer toutes les innovations », insiste l’universitaire, fin connaisseur des affaires africaines.

La jeunesse et ses atouts. Dominique Roux tient à citer deux chiffres, très simples à ses yeux : « Il y a environ 1 milliard d’habitants en Afrique. Dans 20 à 25 ans, il y en aura 2 milliards. Le nombre d’habitants sera donc considérable et représentera presque un quart de la population mondiale. Or, cette population est très jeune – âge médian 18 ans contre 42 ans en Europe –, et représente un atout formidable. Elle peut être un levier considérable pour la croissance, ou un boulet épouvantable car cette jeunesse, il faut la former ». L’économiste regrette qu’il y ait « un déficit considérable dans la formation, à tous les niveaux, du primaire au supérieur ». « Il faut former des professeurs, grâce notamment aux nouvelles technologies de communication pour faire de l’enseignement à distance, établir des systèmes de formation différents des systèmes traditionnels. Mais, encore une fois, sans formation ni contenus de formation adaptés aux besoins, cette jeunesse représentera plus un inconvénient qu’un avantage ». Chantier considérable, chantier d’avenir, chantier prioritaire pour l’Afrique subsaharienne de demain.

 

boillot Jean-Joseph BOILLOT, conseiller au Club du CEPII

Ressources naturelles. L’Afrique dispose du plus important stock de ressources naturelles de la planète, lié à la taille du continent. Selon Jean-Joseph Boillot, « on s’aperçoit que c’est aussi depuis deux ou trois siècles son talon d’Achille, puisqu’en général les produits classiques sont scellés de la malédiction des ressources », et le co-auteur de L’Afrique pour les nuls (éditions First) de faire quelques recommandations : « ce continent va surtout avoir besoin de ses propres matières premières pour se développer dans les cinquante prochaines années. L’Afrique est sur la trajectoire de quatre milliards d’habitants à la fin du siècle. Il lui faut donc arrêter de faire de ses matières premières principalement un objet d’exportation ». Aujourd’hui, l’ensemble du système économique africain est organisé autour de l’exportation de ces ressources et non de leur valorisation.

Matières premières et emplois. « Les matières premières doivent être utilisées comme une rente, un capital, permettant de réinvestir dans des secteurs créateurs d’emplois. Cela n’est pas fait non plus », regrette Jean-Joseph BOILLOT qui milite, entre autres, pour la constitution de fonds d’investissement abondés par les ressources tirées de ces matières premières, vendues à l’export ou sur le terrain. « Pour l’instant, à la différence des pays pétroliers, l’Afrique ne gère pas ses ressources naturelles comme une vraie rente, du point de vue de la théorie économique ». Cette manne financière serait alors réinjectée dans des secteurs intensifs en main d’œuvre comme le BTP et les services. « Cela suppose que, sur le plan institutionnel, soit mise en place l’initiative pour la transparence des contrats », insiste l’économiste.

Terre d’innovation. « Pour l’Afrique, il ne s’agit pas de reproduire avec retard la première et la deuxième révolution industrielle. On observe d’ores et déjà que ce continent fait preuve d’un très grand esprit d’innovation. Y est en train de naître l’économie du 21ème siècle comme la banque moderne (le e-banking), l’enseignement moderne (les MOOCs)… Mais nous n’en sommes qu’au début ». Il en va de même pour les biotechnologies : « Avec la perspective de quatre milliards d’habitants à la fin du siècle, la seule solution pour le décollage du continent est que dans le domaine de la révolution des biotechnologies, l’Afrique devienne le centre du monde dans les prochaines décennies ». Pour l’instant, il y encore beaucoup de retard.

Jeunesse, opportunité démographique : un concept ambivalent. L’arrivée chaque année sur le marché de l’emploi et de la consommation de 15 millions d’africains est une fenêtre d’opportunité importante. « Mais si cette fenêtre n’est pas valorisée, elle deviendra un obstacle dont on connaît bien les cercles vicieux en termes d’instabilité politique et économique », insiste Jean-Joseph BOILLOT. Comment faire de la jeunesse un atout ? Selon le conseiller du CEPII, cela suppose deux conditions, outre l’éducation : « favoriser l’esprit d’initiative. La création d’entreprises en Afrique est extrêmement difficile. Pour favoriser l’atout de la jeunesse il faut lui permettre de consommer des produits adaptés. Sur ce plan, la Chine a marqué énormément de points en Afrique car elle a mis sur le marché des produits qui étaient abordables par cette jeunesse : motos, télephones intelligents, etc…». Jean-Joseph Boillot en est convaincu : « à partir du moment où se créé un marché solvable, on incite les entreprises à venir produire sur place », et donc créer de l’emploi. Tant que l’Afrique ne disposera pas d’un marché solvable suffisamment large, s’érigeront des barrières à son industrialisation, quels que soient les secteurs d’activité.

 

GourevitchJean-Paul GOUREVITCH, consultant international sur l’Afrique et les migrations

Faire tomber les freins pour valoriser les atouts. Jean-Paul Gourévitch identifie cinq atouts importants pour l’Afrique : les ressources naturelles (1/3 des ressources minières, 1/3 des diamants, 1/10 des ressources pétrolières) ; la jeunesse ; la modernité (révolution de la téléphonie mobile et des services qui y sont liés). « Les initiatives se multiplient un peu partout, l’Afrique a réussi à s’imposer dans un certain nombre de domaines comme l’art, la musique, la mode, etc… », constate le chercheur, qui dresse aussi la liste des freins à un développement harmonieux du continent : la démographie (avec une moyenne de 4,8 enfants par femme, jusqu’à 10 au Niger)… « quand la croissance démographique est supérieure à la croissance économique, c’est un problème majeur » qu’il convient de maîtriser. Enfin, le désir d’immigration : « un tiers des africains envisagent d’émigrer », mais aussi la corruption, l’insécurité, etc…

Quels sont les leviers possibles ? Jean-Paul Gourévitch tient à insister sur le rôle important joué par les diasporas, les communautés africaines dispersées dans le monde en général, dans l’hexagone en particulier. « La diaspora africaine concerne dix à douze millions de personnes. Cela sous-entends le nécessaire contrôle des transferts de fonds et de savoir-faire », souligne le consultant, qui met en avant les informations que peuvent donner les diasporas : « l’information ainsi véhiculée me semble fondamentale parce qu’elle peut permettre de réorienter l’immigration africaine, voire de montrer qu’il vaut mieux, pour les africains, rester en Afrique que d’aller à l’étranger. C’est une clef majeure qui n’a pas été utilisée puisqu’en France il n’y a pas de représentation officielle des diasporas, même si avec le partenariat africain on essaie de la mettre en place », précise Jean-Paul Gourévitch. Et de citer à juste titre l’immigration virtuelle. Pour enrayer la fuite des cerveaux, profiter des facilités qu’offrent aujourd’hui les communications avec les délocalisations et le travail à distance, ce qui suppose une parfaite maîtrise des langues française et anglaise.

Restaurer la confiance des africains dans leur pays. C’est à dire faire en sorte que le pays devienne attractif pour les investisseurs, les touristes, les retraités… « Nous avons là un véritable travail démocratique à faire, entre multiplier les forums et associer la jeunesse à la modernisation du pays ». Comment faire pour appliquer cela concrètement ? Selon Jean-Paul Gourévitch, « chaque année en France il y a une journée nationale des diasporas qui permet aux diverses personnes éparpillées sur le territoire de se retrouver, de confronter leurs points de vue et de commencer à créer des réseaux. Mais ces diasporas doivent être associées aux débats sur les problèmes actuels de migration, de transferts de fonds… jusqu’à présent, le gouvernement français ne l’a pas fait ». Le coordinateur scientifique de La Caravane de la Mémoire* précise y travailler depuis plusieurs années, « l’idéal étant de constituer, à terme, une plateforme des diasporas qui permettrait au gouvernement français – quel qu’il soit – d’avoir des interlocuteurs passerelles entre le pays d’origine et le pays d’accueil ».

Dispositif de suivi des étudiants. La matière grise est un des leviers reconnus de développement de l’Afrique subsaharienne. Aussi, pour Jean-Paul Gourévitch, il serait important de « mettre en place un suivi des étudiants africains en France pour savoir s’ils retournent au pays après leurs études, s’ils restent en France ou partent à l’étranger pour travailler. Il conviendrait aussi d’évaluer leurs ressources. En s’appuyant sur les listes et les annuaires des grandes écoles, on peut savoir parmi les africains qui étaient par exemple en formation d’ingénieurs, quels sont ceux qui ont intégré les grandes écoles et ceux qui ne les ont pas intégré ». Que ce soit pour réussir sa migration ou assurer son avenir dans son propre pays, il vaut mieux disposer d’un capital relationnel, intellectuel et financier.

* Caravane de la Mémoire, exposition itinérante, réalisée en collaboration avec le ministère français de la Défense.

Notre Duo éco avec Akiko SUWA-EISENMANN et Dominique ROUX

Conclusion

Comme nous venons de le voir, les grandes questions auxquelles l’Afrique doit répondre dès aujourd’hui sont liées au changement climatique, aux modèles de développement, à la jeunesse et son éducation, à l’immigration et à la stabilité de ses systèmes financiers.

De nombreuses pistes de croissance se dessinent dans une Afrique cherchant à sortir de la pauvreté : accès aux nouvelles technologies, innovation dans le secteur de la santé et l’éducation, problématique de la révolution verte… autant de chantiers qui doivent être considérés comme prioritaires.

Les économies d’Afrique subsaharienne ont les cartes de leurs croissances économiques en main. On entrevoit l’existence des leviers par lesquels cette énergie peut être transformée, ainsi que les mécaniques économiques la rendant possible.

De nombreux enjeux sont néanmoins à soulever dans une Afrique aux multiples facettes. Autant de défis d’avenir que de leviers de croissance évoqués et analysés lors des 1ères Rencontres économiques de Dakar, les 12 et 13 mars, au Sénégal.

 

 

Bibliographie

  • Deloitte (2015), « La consommation en Afrique : Le marché du XXIème siècle ».
  • FMI (2015), « Afrique subsaharienne : Faire face aux vents contraires », Perspectives économiques régionales, Etudes économiques et financières, Avril 2015.
  • FMI (2015), « Afrique subsaharienne : Faire face à un environnement qui se dégrade », Perspectives économiques régionales, Etudes économiques et financières, Octobre 2015.
  • Havas (2015), « Financer la croissance africaine en 2015-2020 : perception des investisseurs internationaux L’afrique, continent d’avenir », Etude Havas Horizons, Mars 2015.
  • Moscovici P. et H. Védrine (2014), « Afrique France : un partenaire pour l’avenir », Rapport au ministère de l’économie et de la finance, décembre 2014.
  • Viard E. (2011), « Editorial : le secteur minier, un levier de croissance pour l’Afrique ? », Secteur privé & développement, La Revue de Proparco, p.2.
  • Sylvie Brunel : http://sinathlafricaine.mondoblog.org/2015/05/15/afrique-croissance-minorite/

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