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L’Indo-Pacifique : une affaire européenne

L’Indo-Pacifique pesera, selon le FMI, 50% de la création de richesse en 2050. La France, espère Patrice Geoffron, pourrait jouer le rôle d’une puissance d’équilibre, modeste sans doute, utile certainement.

Le 25 janvier s’ouvrent les troisièmes Rencontres économiques de Singapour, à l’initiative du Cercle des économistes et en partenariat avec l’Insead, au coeur de la zone Indo-Pacifique. Cette manifestation permet d’apprécier la marche du monde depuis la précédente édition, en 2019, tant au plan géopolitique qu’économique. Et de se souvenir que les menaces sanitaires n’étaient pas dans le tableau alors, à quelques mois pourtant du quasi-confinement planétaire…

Sans oublier le rehaussement des enjeux climatiques depuis lors : la capacité à opérer une transition hors du monde fossile – selon la perspective, timide, esquissée par la COP 28 – se jouera très largement dans ce vaste espace où le charbon reste ancré dans les modèles énergétiques et qui inclut les nations insulaires les plus menacées.

L’Indo-Pacifique

Zone Indo-Pacifique : de quoi parle-t-on ? Si le terme apparaît dès le XIXe siècle pour marquer la densité des flux commerciaux et culturels entre les deux océans, il n’est réintroduit qu’en 2007, par Shinzo Abe le Premier ministre japonais.

Ce dernier affirme l’importance de cet espace dans la dynamique de globalisation. Manière de souligner que la marche du monde ne se résumait pas, alors, à un glissement entre Atlantique et Pacifique, au risque d’occulter l’Inde et son océan. Depuis, toutes les puissances du monde ont élaboré une stratégie indo-pacifique, la France en ayant même fait un des axes de sa présidence du Conseil de l’UE en 2022.

Même si ce vaste espace est hautement hétérogène, plus de 60 % des échanges commerciaux sont intrarégionaux et, selon le FMI, son PIB pèsera 50 % de la création mondiale de richesses en 2040. Et, sujet d’attention, l’Indo-Pacifique est dense en productions de minerais et composants clés dans les transitions numérique (téléphonie mobile, stockage de données, intelligence artificielle, …), aussi bien qu’énergétique (véhicules électriques, batteries, panneaux photovoltaïques, …).

Vue d’Europe

Vu d’Europe, ces nouvelles dépendances sont plus encore un sujet de vigilance, eu égard au déficit de la zone en matière d’architecture de sécurité : les tensions dans la mer de Chine, le détroit de Taïwan, la péninsule coréenne, à la frontalière sino-indienne dans l’Himalaya sont autant de clignotants vif orange. Sans parler de la néo-guerre froide entre Chine et Etats-Unis, qui attend une réélection de Donald Trump pour regagner en intensité.

Certes, un partenariat économique global régional (le « RCEP ») est entré en vigueur en ce début de décennie, réunissant une quinzaine d’économies de la région (dont la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) et formant la plus vaste zone de libre-échange du monde. Mais sans l’Inde, qui a marqué sa distance avec la Chine en rejoignant l’IPEF (Cadre économique Indo-Pacifique pour la prospérité) initié par Joe Biden.

Ces mouvements tectoniques doivent maintenir en éveil une Europe dont l’énergie est absorbée par le conflit en Ukraine et les menaces induites par les foyers moyen-orientaux. Pour la France, il s’agit d’exploiter son ancrage indo-pacifique, qui représente plus de 90 % de la zone économique exclusive française et héberge les activités de plus de 7.000 filiales d’entreprises implantées, notamment dans des domaines essentiels à la modernisation soutenable des pays de ce vaste espace, comme les infrastructures, la gestion des déchets…

Dans une zone sans épicentre, la France peut jouer, au-delà de ces considérations économiques, le rôle d’une puissance d’équilibre, modeste sans doute, utile certainement.

 


 

Patrice Geoffron est professeur à l’Université Paris-Dauphine/PSL, membre du Cercle des économistes.

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