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Agriculture : le danger des prix bas

Vouloir baisser les prix des produits agricoles au profit du pouvoir d’achat des ménages est un mauvais calcul.

Ce n’est pas parce que le prix d’un produit agricole baisse que sa qualité augmente. C’est souvent l’inverse. Dans l’industrie, on peut baisser les prix en produisant sur plus grande échelle. Mais il faut que la qualité demeure.

Cette qualité concerne le coût d’usage du produit dans la durée (sa fiabilité) et, désormais, la responsabilité sociale et environnementale de la chaîne de production. Mais les produits agricoles ne sont pas des produits industriels : ils sont plus compliqués, « vivants » et différents.

Sécurité et variété

« Vivants » d’abord : viande, poisson, lait, fromages… ont une durée, brève et normée, pour être transformés et consommés. Les acheter, c’est payer le résultat d’un processus, souvent long et complexe, de transformations largement manuelles. Le prix final couvre ces coûts, dont une part assure la qualité du produit à chaque étape, qualité en termes de sécurité alimentaire et organoleptique.

On le comprend : le moindre défaut sur la sécurité (lait, viande, plat préparé…) implique un arrêt immédiat de l’achat et souvent une crise, radicale et excessive, de la filière. Elle est hors de proportion avec ce qui se passe pour tout autre produit.

Différents ensuite : le produit agricole donne ses lieu et date de naissance, son nom, sa composition physique et nutritive. Il cherche à se distinguer des autres, pour satisfaire au mieux une vaste palette de goûts. La France est le pays des fromages, des appellations contrôlées, des règles et normes, des différenciations objectives et subjectives. Il en faut pour tous les goûts et pour toutes les bourses. A côté de la « demande de sécurité », les produits agricoles répondent aussi à une « demande de variété », qui implique aussi des coûts, donc des prix, différents.

Appauvrissement des agriculteurs

Vouloir faire baisser les prix alimentaires et des boissons non alcoolisées dans la dépense des ménages répond à l’objectif de « libérer » du pouvoir d’achat au profit du secteur ayant pignon sur rue, celui des services (soins à la personne, garde d’enfant hors domicile, services financiers et d’assurances notamment). Mais cette fonction augmente de 3 points de 2001 à 2011 (de 11,7 à 14,7 %) dans la dépense des ménages, alors que le poids de l’alimentaire en perd 0,5 (de 16,9 à 15,4 %).

Poursuivre encore la pression à la baisse des prix alimentaires, c’est donc augmenter les contraintes, de l’aval (la distribution) vers l’amont, mettre en cause la filière. Outre les effets de cette politique sur l’emploi dans la distribution et les villages, sur l’écologie (entretien des sols et diversité des paysages) et l’image du pays (la qualité des restaurants vient, en bonne part, de celle des produits), se pose d’abord le risque sanitaire qui peut naître de l’appauvrissement des producteurs.

Les agriculteurs ne le prendront évidemment pas. On connaît leur réponse : la concentration des unités, ce qui réduit automatiquement la diversité des offres, donc la « demande de diversité » des consommateurs (avec la raréfaction des distributeurs spécialisés : fromagers, bouchers, fruitiers…). La filière agricole s’affaiblit en diversité, avec la hausse de la taille des exploitations.

Solde commercial

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le solde commercial des produits agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l’aquaculture devient négatif en 2017 (-183 millions) contre un excédent de 1.779 millions en 2015. Quant à l’excédent des produits des industries agroalimentaires, il baisse de 8,4 milliards en 2015 à 6 en 2017. Les usines à fromage et à lait, aux Pays-Bas et en Allemagne, sont là.

Mettre en risque les filières de production agricoles et alimentaires françaises pour croire « donner du pouvoir d’achat » est un calcul partiel, à courte vue, faux. Au contraire, leurs nécessaires renforcement et internationalisation doivent permettre plus de sécurité et aussi plus de diversité, seuls arguments concurrentiels, en France et à l’international, face aux multinationales de l’agueusie.

 

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