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Fonds verts : faut-il bannir les secteurs émetteurs ou encourager les « best in class » ?

Actions, obligations, fonds immobiliers… de plus en plus de placements proposent d’accompagner la transition énergétique. Pour Patrice Geoffron, le verdissement de la finance est aujourd’hui incontournable et guidée par une rationalité économique.

La COP 28 a poussé un cran plus loin l’engagement dans la lutte contre le changement climatique. L’avancée est certes timide, mais la mention d’une nécessaire transition hors des énergies fossiles est inédite (« transitioning away from fossil fuels »), l’ombre de ces dernières ayant plané sur les 27 premières COP, sans qu’elles n’aient jamais été explicitement mentionnées jusqu’alors.

La nécessaire transition financière

Dans ce contexte, à défaut de prix du carbone cohérent, le « verdissement » de la finance est une nécessité. La lutte contre le changement climatique a certes longtemps été considérée comme un défi pour les ingénieurs. Mais, à mesure que les contraintes climatiques s’accroissent, et face à l’urgence d’un déploiement massif des technologies décarbonées – énergies renouvelables, solutions d’efficacité énergétique, véhicules électriques… – une évidence s’impose : une transition financière est également impérative.

C’est dans cette perspective que s’inscrit la réforme du Label ISR (Investissement Socialement Responsable) qui entrera en vigueur en mars 2024. Ce label a été créé en 2016 par le ministère de l’Économie et des Finances dans le but de distinguer les fonds adossés à une méthodologie ISR robuste (OPCVM en actions ou en obligations, fonds alternatifs, fonds immobiliers, …). Près de 1200 fonds sont labélisés ISR, pour un encours total d’environ 800 Mds€.

La réforme du Label ISR, un changement d’approche

La réforme en cours vise à restreindre les entreprises éligibles à ces financements : celles qui exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels, ou celles qui investissent dans de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures sont désormais « bannies ». En outre, à partir de 2026, 15 % des portefeuilles devront être orientés vers des secteurs à fort impact dont les plans de transition sont cohérents avec les objectifs de l’Accord de Paris (seuil qui sera progressivement augmenté ensuite).

En termes clairs, cela conduit à un abandon d’une approche en termes de « best in class » qui consistait à accompagner, au sein d’un secteur, les entreprises les plus avancées quant à la durabilité de leurs pratiques, y compris dans des secteurs très émetteurs par nature. Cette exclusion se heurte à diverses objections : elle mettrait au même niveau, en matière pétrolière, les majors européennes dont les objectifs de décarbonisation sont à la fois plus ambitieux et plus crédibles que les américaines (sans parler des compagnies nationales des pays producteurs) à l’encontre de l’objectif recherché ; de plus, elle priverait les investisseurs (notamment les institutionnels) d’un levier pour peser, de l’intérieur, sur les orientations environnementales prises par les entreprises financées.

Un signal politique face à l’urgence

En réalité, ce bannissement procède du signal politique : depuis la création du Label ISR en 2016, dans le prolongement de la COP 21, la courbe des émissions de gaz à effet de serre a continué à progresser, éloignant l’objectif du maintien de la dérive climatique aux alentours de +1,5°C. L’urgence, confirmée par les derniers rapports du GIEC, invite ainsi à ne plus faire « dans la nuance ». Par ailleurs, il pourrait répondre aux attentes de clarté et de lisibilité des labels que traduit notamment le dernier Baromètre annuel de l’Investissement Responsable CPR AM.

Au total, la finance « verte » est un champ de tensions politiques, tout autant qu’elle est guidée par une rationalité économique. Pour s’en convaincre, il suffit de franchir l’Atlantique et d’observer la bataille dans les États républicains (Floride en tête) pour prohiber les critères environnementaux et sociaux dans les stratégies d’investissement, en faisant peser un risque juridique sur les récalcitrants. Bien loin du débat européen sur les nuances de vert.

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