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Remettre l’éducation et la formation au cœur du débat

Encore une grande absente du programme économique des candidats à l’élection présidentielle : l’école. L’échéance électorale approchant de son terme, il s’agit d’ores et déjà de se projeter dans le prochain quinquennat, penser l’après, le futur immédiat.

Comment remettre l’éducation et la formation au cœur du débat ? Telle est la question traitée. Nathalie Chusseau insiste sur le fait que, pour être innovante et capable de se réindustrialiser, toute économie doit former correctement sa population.

L’autrice de cette note souligne que la France est aujourd’hui le pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus lourd dans les résultats scolaires. Toutes les enquêtes le prouvent. Et que dire des NEETs, ces jeunes ni en étude, ni en formation, ni en emploi ? La France en compte aujourd’hui 1,5 million.

Le lecteur trouvera ici de nombreuses pistes de réflexion et des propositions, sans parti-pris. Prendre en compte l’ensemble du système éducatif est une priorité. Mais avec quels outils et moyens dans ce monde en profonde mutation ?

L’école n’a été que très récemment abordée par les candidats à l’élection présidentielle alors que l’éducation tient une part non négligeable dans leurs programmes et à juste titre. Toutefois, aucun projet ne prend en compte le système éducatif dans son ensemble, du primaire au supérieur, et sur la totalité du cycle de vie de l’individu. La réduction des inégalités scolaires ne peut se traiter qu’à travers une réforme de l’école primaire et pré-primaire ciblée sur les enfants de milieu modeste. Les enseignements scientifiques indispensables à la compétitivité du pays doivent retrouver toute leur place, et les méthodes pédagogiques être améliorées. La question du financement public de l’éducation est également cruciale et pourtant pas abordée par les candidats avec parfois une budgétisation incertaine des programmes. Enfin, la France compte 1,5 million de jeunes ni en étude, ni en formation, ni en emploi (les NEETs), ce qui constitue un gâchis de compétences et un manque à gagner pour le pays : il faut alors s’atteler à améliorer leur insertion économique et sociale.

Une éducation de qualité est déterminante pour la compétitivité du pays

Pour être une économie innovante et se réindustrialiser, il faut former correctement sa population, en particulier dans les matières scientifiques. Or, la France dégringole depuis vingt ans dans les classements internationaux au regard des compétences des élèves en matière de compréhension de l’écrit, culture mathématique et culture scientifique (classement PISA de l’OCDE). En matière de compétences scientifiques, l’étude TIMSS qui mesure le niveau des élèves de CM1 et 4ème en mathématiques et en sciences tous les quatre ans depuis 1995, fait état de résultats catastrophiques pour la France.

En 2019, pour le niveau CM1, le score de la France en mathématiques et en sciences est largement sous la moyenne européenne, et place en 2019 la France en avant-dernière position, devant le Chili. Pour les élèves de 4ème, la France est en-dessous de la moyenne de l’UE et des pays de l’OCDE dans les deux matières. En mathématiques, le score moyen a même baissé de 47 points en 25 ans de sorte que le niveau des élèves de 4ème de 2019 en mathématiques est équivalent à celui des élèves de 5ème en 1995 dans cette matière. Seuls 2% des élèves atteignent le niveau « avancé » en mathématiques contre 11% dans l’Union européenne (50% à Singapour). Ce constat s’accompagne d’une surreprésentation des élèves les plus faibles : en mathématiques, 15% des élèves français n’ont pas les connaissances élémentaires en CM1 contre 6% des élèves au niveau européen.

La puissance industrielle d’un pays et sa capacité d’innovation ne peuvent progresser sans compétences scientifiques. Un niveau de compétences trop bas empêche les entreprises de se moderniser par manque de salariés qualifiés et pousse aux délocalisations. D’ailleurs, on observe que le niveau de compétences d’un pays est corrélé aux dépenses de recherche et développement et au poids de l’industrie dans l’économie. Les compétences jouent donc un rôle central dans l’innovation, la réindustrialisation, la croissance et le plein-emploi.

Que faire ?

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    Depuis la réforme du baccalauréat, plus de 50% des filles abandonnent les mathématiques après la classe de 2de.

Il faut renforcer les enseignements scientifiques, notamment l’apprentissage des mathématiques. Pour cela, il faut développer la place de l’enseignement des mathématiques dans les cursus primaires, secondaires et supérieurs. Il faut aussi réintroduire les mathématiques au lycée de la seconde à la terminale, pour tous les élèves, filles et garçons1, et augmenter le volume enseigné (la réforme du lycée aurait fait chuter de 18% les heures de mathématiques enseignées en terminale et en première).

Enfin, il faut augmenter la dépense publique allouée à l’enseignement supérieur qui accueille actuellement 2,8 millions d’étudiants. La dépense que consacre la France à son enseignement supérieur représente 1,47% du produit intérieur brut en 2018 (investissements publics et privés). Cette dépense est globalement stable depuis 2009 et la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE. Toutefois, dans le même temps, le nombre d’étudiants a augmenté de 20%. La dépense par étudiant a donc chuté de 8% entre 2009 et 2019. L’effort de la France en matière d’enseignement supérieur reste donc largement insuffisant et il faut donc augmenter la dépense publique d’éducation allouée au supérieur. En outre, on observe des disparités importantes en matière de dépense par étudiant. Par exemple, la dépense annuelle moyenne par étudiant à l’université se chiffre seulement à 10 110 euros en 2019 contre 15 710 euros pour un étudiant en classe préparatoire aux grandes écoles. Pour réduire les disparités observées entre les formations et augmenter le taux d’encadrement et les taux de réussite dans ces filières, il est nécessaire d’augmenter l’investissement en licence et en master. Selon Fack et Huillery (2021), « un investissement supplémentaire est nécessaire, de l’ordre de 5 100 euros pour les licences et de 4 300 euros pour les masters, afin de proposer des formations d’une qualité au moins égale à celle des DUT ». Cette proposition est chiffrée à 4,7 milliards d’euros. En outre, du fait de la sous-représentation des étudiants venant de milieu modeste, la dépense publique dans l’enseignement supérieur est régressive. Malgré la loi ORE (orientation et réussite des étudiants) instaurée en 2018, le taux de réussite en première année de licence continue de se situer autour de 43% selon les licences. Comme souvent, on annonce des objectifs de réussite en licence sans s’en donner les moyens, et l’on s’en remet de fait à la sélection à la fin de la première année universitaire. Les dispositifs de remédiation « oui si » instauré par la loi ORE et réservés aux néo-bacheliers un peu fragiles sont très hétérogènes selon les universités et même selon les filières, allant du simple tutorat à la mise en œuvre d’heures de remise à niveau. Ces dispositifs n’ont pas été évalués et, au regard de la stabilité du taux de réussite en licence, leur efficacité reste discutable. Il est donc urgent de consacrer de réels moyens à une année de propédeutique, à partir d’un cahier des charges précis, adapté aux prérequis nécessaires à la spécialité dans laquelle l’étudiant s’est inscrit. Cela implique la mise en œuvre de tests de positionnement conformément à ce cahier des charges pour identifier les jeunes concernés, ainsi qu’un investissement public à la hauteur et un accompagnement des enseignants.

Réduire les inégalités scolaires

La France est aujourd’hui le pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus lourd dans les résultats scolaires (enquêtes PISA 2012, 2015, 2018). Depuis sa création en 2000, l’enquête PISA pilotée par l’OCDE évalue pour 79 pays, les compétences de 600 000 élèves de 15 ans scolarisés, dont 6 300 en France, sur trois domaines : compréhension de l’écrit, culture mathématique et culture scientifique. Cette enquête permet de comparer l’efficacité des systèmes éducatifs via les performances des élèves. Pour chaque enquête, un domaine majeur est privilégié. Le domaine majeur d’évaluation de PISA 2018 était la compréhension de l’écrit (sciences en 2015, mathématiques en 2012).

Un résultat majeur de cette enquête est que la corrélation entre le milieu socioéconomique et la performance scolaire est bien plus forte en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Pour mesurer le poids de l’origine sociale dans les performances à l’école, l’enquête PISA calcule pour les élèves de 15 ans scolarisés un indice de statut économique, social et culturel (SESC), qui est un score composite de plusieurs indicateurs : niveau de formation et statut professionnel des parents, nombre et types d’éléments constituant le patrimoine familial, nombre de livres et autres ressources éducatives dont ils disposent dans leur famille. Le SESC fournit une mesure du niveau socio-économique et culturel de la famille (parents) des enquêtés. L’enquête calcule ensuite un indicateur de l’impact du SESC sur les performances éducatives des enquêtés (pourcentage de la variation de la performance expliqué par le statut socio-économique des élèves). Selon PISA 2012, 22,5% de la variation de la performance des élèves en mathématiques s’explique par leur milieu socio-économique (il y a seulement 7 pays sur 65 où le pourcentage est supérieur à 20% : la Bulgarie, le Chili, la Hongrie, le Pérou, la République Slovaque, l’Uruguay et la France). En clair, en 2012, le système d’éducation était plus inégalitaire qu’il ne l’était neuf ans auparavant. En 2012, lorsqu’on est issu d’un milieu modeste, on a moins de chances de réussir en France qu’en 2003. En 2015, les résultats de PISA sont similaires : le milieu socio- économique explique en France plus de 20% de la performance obtenue par les élèves de 15 ans (contre seulement 13% pour la moyenne des pays de l’OCDE). Seuls la Hongrie et le Luxembourg se situent également à un niveau supérieur à 20%.

Comme chaque enquête fournit l’indicateur pour une des trois performances mesurées par l’enquête (compréhension de l’écrit, mathématiques, sciences), afin de prendre en compte ces trois éléments, nous avons calculé la moyenne des indicateurs d’impact du SESC pour les enquêtes 2009, 2012 et 2015. L’indicateur moyen montre que la France est le pays développé où la persistance intergénérationnelle éducative est la plus élevée (Graphique 1).

Suivant les résultats des enquêtes PISA et en se fondant sur le rapport des performances moyennes entre les déciles supérieur et inférieur des enquêtés, la France apparaît comme le pays de l’OCDE le plus inégalitaire en termes de résultats éducatif à l’âge de 15 ans (graphique 2).

Enfin, selon la dernière enquête PISA (PISA 2018), le déterminisme social apparaît toujours aussi marqué : le statut socio-économique en France prédit 21% de la variation des performances des élèves en mathématiques (14% en moyenne dans l’OCDE), et 20% de la variation en sciences (13% en moyenne). Concrètement, le niveau à l’écrit des 10% d’élèves des familles les plus riches équivaut à une Moyenne avance de 4 années scolaires environ par rapport aux 10% d’élèves les plus pauvres (3 années en moyenne). On observe un écart de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé, contre 88 points en moyenne. Cet écart demeure stable depuis 2009 (110 points).

La combinaison d’inégalités éducatives non-négligeables dans la génération des parents et d’un système éducatif inapte à atténuer ces inégalités peut expliquer ce fort déterminisme social en matière de performance scolaire. En particulier, le système éducatif français présente une faible dépense par élève dans l’éducation primaire, qui ne permet pas d’atténuer les différences culturelles initiales liées à l’origine familiale. Avec 6860 euros par élève dans le primaire, la France est en retard sur la moyenne des 37 pays membres (7643 euros). Cette situation n’est pas nouvelle (graphique 3).

En revanche, la France se situe au-dessus de la moyenne pour le secondaire, avec une dépense par élève de 10 918 euros, contre 8 994 en moyenne. Par ailleurs, la France, avec 8,4% des dépenses publiques totales consacrés aux dépenses publiques totales d’éducation reste très en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (10,8%) (graphique 4).

Que faire pour réduire les inégalités scolaires en France ?

Au regard des chiffres présentés ci-dessus, il faut commencer par augmenter la part de la dépense publique d’éducation allouée à l’éducation primaire.

Ensuite, l’école doit réduire les inégalités liées aux différences familiales avant de sélectionner, autrement, seuls les enfants issus des milieux cultivés et favorisés passent la barrière de la sélection.

Il faut scolariser les enfants dès l’âge de deux ans sur l’ensemble du territoire car plus on scolarise tôt les enfants, plus l’activité d’éducation est efficace, particulièrement pour les enfants issus des milieux modestes (Schweinhart et al., 2005 ; Goodman et Sianesi, 2005 ; Heckmann, 2010).

Il est aussi impératif de réintroduire la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale.

En outre, l’école doit se réformer. En effet, le système éducatif français se focalise sur les savoirs à transmettre mais néglige les compétences nécessaires à leur acquisition. En conséquence, il faut instaurer dès le plus jeune âge des politiques d’éducation ciblées sur les enfants de milieu modeste pour leur transmettre les prérequis culturels (savoirs implicites non évaluables et nécessaires pour réussir), transmis dans les familles favorisées et les familles d’enseignants, et non enseignés aux élèves qui ne les possèdent pas. Il est également nécessaire de cibler les réformes sur les élèves en échec scolaire ou issus de milieux défavorisés comme l’ont fait l’Allemagne, la Pologne et le Portugal dans les années 2000. Ces mesures doivent s’accompagner d’une réduction du nombre d’élèves par classe dans le primaire pas seulement dans les zones d’éducation prioritaire mais dans tous les quartiers où se concentre une population d’origine modeste.

Enfin, il faut revaloriser la profession d’enseignant. Selon un rapport du Sénat, « en euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25% de rémunération au cours des 20 dernières années ». Le salaire statutaire des enseignants du primaire et du secondaire après dix ou quinze ans de service est inférieur d’au moins 15% à la moyenne de l’OCDE, alors que les enseignants en France passent en moyenne davantage de temps à enseigner devant les élèves que leurs collègues des autres pays européens. Ce métier indispensable à la formation de notre population et à la croissance économique est déserté, en particulier dans les enseignements de mathématiques ou d’informatique où les salaires proposés dans le secteur privé sont incomparablement plus élevés. Il faut donc relever le salaire statutaire des enseignants.

Réussir l’inclusion économique et sociale des NEETs

L’inclusion économique des jeunes est la condition nécessaire pour bâtir une activité économique dynamique et une société harmonieuse. Les NEETs, ces jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation représentent 1,5 million de jeunes de 15 à 29 ans dans notre pays, soit près d’un jeune sur sept (13-14%) et plus d’un jeune sur quatre dans les quartiers prioritaires de la ville. Outre le fait que cette situation est socialement inacceptable, cette mauvaise insertion économique et sociale des NEETs constitue un immense gâchis.

Comment une grande puissance économique comme la France n’est-elle pas en mesure de résoudre ce problème alors que ces jeunes représentent un potentiel de compétences, d’activité économique et donc de croissance ? L’insertion économique des jeunes est un enjeu déterminant pour le pays. Leur non-intégration sociale et économique représente un coût pour les finances publiques estimé à 22,2 milliards d’euros soit 1,11% du PIB, ce qui est colossal, ainsi qu’un un manque à gagner pour l’économie française de l’ordre de 0,4 point de PIB (Chusseau, Verdugo, Mahfouz, 2021).

Comment accompagner et former correctement ces jeunes pour les préparer à une insertion économique et sociale durable ?

Au-delà du diplôme, le développement des compétences est crucial pour permettre l’insertion des jeunes sur le marché du travail, et notamment les compétences transversales ou soft skills. Il s’agit de compétences comportementales (arriver à l’heure, avoir confiance en soi, savoir se présenter, savoir se valoriser, se concentrer, gérer le stress…), de compétences sociales (prise de parole en public, capacité à travailler en groupe, à faire du lien avec les autres, gestion du temps, aisance sociale, courtoisie, coopération, capacité à créer et mobiliser un réseau, empathie, persuasion, négociation, gestion des conflits, capacité à déléguer, leadership,…), et de compétences remarquables (capacité à résoudre des problèmes compliqués et capacités d’adaptation). Ces compétences comportementales sont une clé indispensable à l’embauche et à une insertion durable sur le marché du travail puisque 60% des employeurs estiment que celles-ci sont plus importantes que les compétences techniques. Elles constituent des compétences socles dont l’acquisition est une condition essentielle à la construction du parcours d’un actif. Ces soft skills présentent également un véritable avantage comparatif pour ceux qui les détiennent dans un contexte de forte mutation technologique car elles ne sont pas automatisables.

Evidemment, les compétences auxquelles on doit former les jeunes dépendent de la demande sur le marché du travail qui dépend elle-même du niveau d’études du public à recruter. Il faut donc former aux métiers qui recrutent les jeunes (professionnels de l’action culturelle et sportive, employés de l’hôtellerie-restauration, ingénieurs de l’informatique, vendeurs, ouvriers non qualifiés de la manutention), et tenir compte de leur niveau d’études initial.

En outre, dans un monde en constance évolution technologique, il faut former aux compétences numériques.

Comment favoriser la montée en compétences des NEETs et la valorisation de ces dernières ?

En continuant le développement de l’apprentissage réformé en 2018 avec 718 000 contrats d’apprentissage signés en 2021 : le nombre d’apprentis a plus que doublé depuis 2018. Il faut continuer à développer l’apprentissage, en particulier pour les jeunes éloignés de l’emploi et viser le million d’apprentis pour nous permettre ainsi de rejoindre l’Allemagne en pourcentage.

En poursuivant également le développement des écoles de la deuxième chance et des EPIDE (établissement pour l’insertion dans l’emploi), notamment sur les territoires où le nombre de NEETs est le plus important. Il faut également augmenter le nombre d’écoles de production qui forment les jeunes de 15 à 18 ans en échec scolaire aux gestes de base de l’industrie et aux dernières technologies numériques, dans différentes filières industrielles.

Il faudra augmenter à terme le nombre de contrats d’engagement jeune qui se substitue à la garantie jeunes en mobilisant tous les acteurs pour proposer un parcours de formation aux NEETs contre un revenu mensuel de 500 euros (400 000 sont prévus dans l’immédiat). Une évaluation ex-post de ce dispositif sera absolument nécessaire avec un bilan de l’insertion des bénéficiaires à 3 mois 6 mois et un an. En outre, pour aider les NEETs à acquérir de l’expérience et les clés du marché du travail, il est souhaitable d’étendre le contrat d’engagement jeune aux activités associatives.

Maintenir les compétences à niveau tout au long de la vie pour anticiper les effets de l’évolution technologique et maintenir la population en emploi

La formation tout au long de la vie constitue un enjeu clé pour nos économies. D’abord, parce que le vieillissement démographique associé à une longévité croissante laisse ouverte la possibilité de travailler jusqu’à un âge plus avancé. Ensuite, parce que le processus schumpétérien de destruction-créatrice mu par l’innovation provoque une évolution très marquée des compétences demandées. D’un point de vue collectif, cela produit une polarisation des emplois : les qualifications intermédiaires disparaissent au profit de qualifications très faibles ou très élevées. D’un point de vue individuel, la perte d’emploi provoque à court-terme une dégradation des conditions de vie si une qualification solide n’est pas apportée en parallèle. Enfin, on observe une érosion de certaines compétences avec l’âge (aisance numérique, dextérité manuelle, vitesse de perception visuelle).

Notre société fait donc face à un défi majeur : l’évolution technologique et l’obsolescence des qualifications qui en résulte, et le vieillissement de la population associé à une longévité croissante. La transformation numérique impactera 40% des emplois qualifiés ou pas, et il faut absolument anticiper ces nouvelles compétences. En France, c’est 9% des emplois en France qui ont un risque élevé (supérieur à 70%) d’être automatisés et seraient ainsi menacés (Arntz, Gregory et Zierahn, 2016). Cela concerne en particulier les séniors, qui ont certes vu leur taux d’emploi augmenter en France ces dernières années, mais avec un taux d’emploi qui reste en dessous de la moyenne européenne (53,8% contre 59%), et qui se maintient à 20 points en dessous du taux d’emploi des séniors observé en Allemagne, en Suède ou au Danemark. C’est précisément la tranche d’âge des 60-64 ans qui reste la plus vulnérable avec un taux d’emploi de seulement 33,1% en 2020 contre 45,3% en moyenne en Europe. Ce faible taux d’emploi conduit à une sous-utilisation de compétences dont l’activité économique a besoin. Sans parler des effets positifs, économiques et sociaux, de l’insertion sur le marché du travail pour cette population.

Pour faire face à la transformation numérique, la formation tout au long de la vie est essentielle. Chusseau et Pelletan (2019) montrent que lorsqu’une partie de la population est touchée par une obsolescence partielle de ses qualifications en raison de changements technologiques non anticipés, l’accès individuel à une politique de formation professionnelle de six mois ou d’une année a un impact significatif sur la production totale (2,5% d’augmentation pour une formation de six mois, et 3,4% pour une formation d’une année). Concrètement, cela implique de mobiliser le Compte Personnel de Formation (CPF) dans une logique globale de formation. Le CPF qui permet un accès individualisé à la formation apparaît comme un outil clé pour la montée en compétences des salariés. Instauré en 2015 et profondément réformé en 2019, le CPF est un outil de carrière très intéressant. Pour certains publics déjà formés, il peut être un outil important pour développer ses compétences remarquables (capacité à résoudre des problèmes compliqués et capacités d’adaptation). On observe d’ailleurs qu’il connaît un franc succès auprès de ces publics depuis sa création en 2015. Il est toutefois préférable de développer une logique globale de la formation, et non une vision individuelle. De ce point de vue, il serait intéressant de définir au niveau des branches professionnelles les compétences globales à posséder (et anticiper les changements liés à l’évolution technologique au niveau de la branche) pour inciter les entreprises à développer ces dernières auprès de leurs salariés. Il serait utile de développer au niveau des branches professionnelles des formations tout au long de la vie préparant à la digitalisation des métiers et aux tâches nouvelles.

Avec l’âge, on observe une érosion de certaines capacités cognitives. Toutefois, l’on constate que plus un pays est à même à continuer à former ses seniors à mesure qu’ils vieillissent, moins ceux-ci perdront des facultés. Autrement dit, le gradient des écarts de formation selon l’âge (les seniors étant moins formés) est positivement lié au gradient des écarts dans les capacités cognitives (Paccagnella, 2016). Si les mécanismes permettant de constituer ou de préserver cette réserve cognitive sont encore relativement peu connus dans leur précision, on en connaît en revanche les principaux éléments déterminants : la formation initiale, l’état de santé, l’entraînement des compétences régulièrement au cours du temps, et les activités physiques. Ainsi, le maintien en activités accompagné de périodes de formation et de renouvellement des compétences est crucial pour l’évolution des compétences et des capacités.

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    Les individus participant à un club sportif ou social seront ceux qui connaissent une entrée en dépendance la plus tardive, et l’impact positif sur l’âge d’entrée en dépendance est le plus marqué pour les individus les moins qualifiés.

De nombreuses études ont mis en évidence l’importance des « activités socialisées » qui réduisent notamment les risques liés à l’âge. Par « activité socialisée », on entend « toute activité sociale un peu contraignante, d’intérêt général et pas forcément rémunérée ». Ces activités ont impact positif sur la santé physique : travailler à un âge élevé permet par exemple de réduire la probabilité de reporter un état de santé dégradé de 6%. Une récente étude de la Chaire TDTE montre que la pratique d’activités socialisées chez les individus de plus de 60 ans retarde en moyenne de 3,2 ans l’âge d’entrée en dépendance (El Abbouni et Moret, 2021). Cet impact diffère selon le type d’activité pratiquée et le groupe social d’appartenance2. En améliorant l’état de santé de ceux qui les pratiquent, ces activités socialisées participent à desserrer la contrainte pesant sur le financement de la protection sociale. On observe également des effets positifs sur la satisfaction de vivre et le bonheur du sénior. Albouy, Moret, Perona et Zerrari (2021) montrent notamment que les enseignants actifs et retraités pratiquant ce type d’activités sont plus satisfaits de leur vie, plus heureux, et moins déprimés que ceux qui n’en pratiquent pas. Enfin, ces activités sont des activités relevant de l’utilité sociale, et peuvent répondre à des besoins d’utilité collective non pourvus par les services publics. En résumé, ces activités socialisées génèrent une augmentation du bien-être individuel et collectif. Compte-tenu de ces effets positifs, une solution pour maintenir les séniors en emploi pourrait être de leur permettre de cumuler une activité rémunérée avec une activité bénévole ou sociale en s’appuyant par exemple sur des dispositifs existant tels que le mécénat de compétences (Chusseau et Pelletan, 2020). Il faudrait alors développer des formations courtes et ciblées sur les séniors proches de la retraite pour favoriser les activités socialisées (Chusseau N. et A. Creppy, 2022). Enfin, alors que le nombre de jeunes à l’écart du marché du travail demeure très important, il serait pertinent, dans une perspective de reconstruction du lien entre les générations, de développer le tutorat de proximité, par les retraités, pour les 100000 jeunes décrocheurs exclus du marché du travail. On développerait alors un dispositif destiné aux séniors proches de la retraite pour transmettre aux jeunes leur savoir et leur connaissance de l’entreprise ou de l’organisation qui les emploie, ce qui renforcerait le lien intergénérationnel. Un dispositif assez simple du type « un jeune, un sénior » au sein de l’entreprise pourrait réduire les coûts de formation des jeunes tout en étant conjointement profitable au jeune et au sénior.

Synthèse des propositions

  • Réintroduire les mathématiques comme matière obligatoire en première et terminale
  • Scolariser les enfants dès l’âge de deux ans sur l’ensemble du territoire
  • Réintroduire la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale
  • Réduire le nombre d’élèves par classe dans le primaire dans tous les quartiers où se concentre une population de milieu modeste
  • Instaurer dès le plus jeune âge des politiques d’éducation ciblées sur les enfants de milieu modeste pour leur transmettre les prérequis culturels (savoirs implicites non évaluables et nécessaires pour réussir)
  • Augmenter la dépense publique d’éducation dans le primaire et le supérieur, et augmenter l’investissement en licence et en master
  • Instaurer une année de propédeutique à l’université pour les néo bacheliers les plus fragiles
  • Augmenter le nombre d’écoles de la seconde chance et des EPIDE
  • Augmenter le nombre de bénéficiaires du contrat jeune engagement, l’étendre aux activités associatives, et procéder à son évaluation ex-post
  • Développer au niveau des branches professionnelles des formations tout au long de la vie préparant à la digitalisation des métiers et aux tâches nouvelles
  • Proposer des formations aux séniors, en particulier aux 60-64 ans, orientées vers le mentorat et la transmission des savoirs aux jeunes, et les préparant à exercer des activités socialisées (bénévoles ou autocentrées) à la retraite.

Références

  • Albouy F-X, Moret A., Perona M. et A. Zerrari (2021), « Les résultats de l’enquête sur le bien-être des enseignants et des retraités enseignants », Etude de la Chaire TDTE réalisée avec le soutien de l’UMR, 2021, tdte.fr
  • Chusseau N. et A. Creppy (2022), « Construire le projet de vie des séniors : quelle formation professionnelle pour préparer sa retraite et favoriser les activités socialisées ?, Rapport pour la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Economiques, Institut Louis Bachelier, Paris, 2022.
  • Chusseau N. et J. Pelletan (2020), « Les compétences et formations propices à la pratique d’activités socialisées », in : Les activités socialisées des séniors, sous la direction de François- Xavier Albouy, Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur, Collection Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques, Paris, Octobre 2020.
  • Chusseau N., Verdugo G; et S. Mahfouz (2021), « Réussir l’inclusion économique des NEETs », Note coordonnée par Le Cercle des économistes à l’occasion du 1er Sommet de l’inclusion économique, Sous la direction de Jean-Hervé Lorenzi, Président du directoire du Cercle des économistes
  • El Abbouni Y. et A. Moret (2021), « Quel effet de la pratique d’activités socialisées des seniors sur l’âge d’entrée en dépendance », Chaire TDTE, Mai 2021, tdte.fr
  • Fack G. et E. Huillery (2021), «Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace», Les notes du conseil d’analyse économique, n° 68, Décembre 2021.
  • Goodman A. and B. Sianesi (2005), “Early education and children’s outcomes: How long do the impacts last?”, Fiscal Studies, Vol. 26, n°4, 513-548, December.
  • Heckman J.J., S.H. Moon, R. Pinto, P.A. Savelyev, and A. Yavitza (2010), “The Rate of Return to the High/Scope Perry Preschool Program”, Journal of Public Economics, 94(1-2), 114-120, February.
  • Paccagnella (2016), “Age, Ageing and Skills: results from the Survey of Adult Skills”, OECD Education Woking Paper n°132.
  • Schweinhart LJ, Montie J, Xiang Z, Barnett WS, Belfield CR and M. Nores (2005), “Lifetime Effects: The High/Scope Perry Preschool Study Through Age 40”, Ypsilanti, MI: High/Scope Press; 2005.

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