Goldman Sachs, Amazon, Google, Microsoft… la liste est longue des entreprises américaines qui annoncent des plans de licenciements. L’objectif est de s’adapter à la conjoncture. Bertrand Jacquillat explique pourquoi il faut relativiser ce que beaucoup définissent comme des licenciements boursiers.
« Les salariés de la Bourse de Paris disent non aux licenciements boursiers », titrait une dépêche de l’AFP en date du 18 juin 2015. C’était le slogan de l’une des banderoles brandies devant le palais Brongniart par une centaine d’employés d’Euronext, société qui gère la Bourse de Paris, suite à son annonce de supprimer 65 postes. Ce slogan est proféré par les organisations syndicales qui les concoctent, par les médias qui s’en font l’écho, et par une grande partie de la classe politique qui se l’approprie. Ils ne font que traduire une profonde méconnaissance de la réalité économique, comme si celle-ci était un jeu à somme nulle, où en l’occurrence les intérêts des actionnaires et des salariés seraient contradictoires.
Une réalité inverse
La réalité est strictement inverse, comme le prouvent toutes les études empiriques effectuées sur tous les marchés d’actions du monde : l’annonce d’une baisse du chômage, ou d’une hausse de l’emploi, s’accompagne d’une hausse des cours des actions. Ces résultats ne sauraient surprendre, une augmentation de l’emploi se traduira par une hausse de la croissance économique, par rapport à la situation ex ante. Ceci implique une plus grande prospérité des entreprises, une hausse de leurs chiffres d’affaires et de leurs bénéfices, et en fin de compte de leurs cours de bourse.
Le phénomène est si manifeste qu’il a été constaté qu’une baisse du chômage aux Etats-Unis entraîne non seulement la hausse de la bourse américaine mais aussi celle des bourses européennes. Et l’impact est réciproque, une hausse des chiffres du chômage a un effet récessif sur l’économie et provoque en règle générale une baisse de la bourse. Toutefois, ces relations entre variations du niveau d’emploi et des cours boursiers peuvent être perturbées par le phénomène des anticipations. Ainsi observe-t-on parfois que l’annonce d’une diminution du chômage, une bonne nouvelle, s’accompagne d’une baisse des cours boursiers, réaction inverse à celle que nous venons d’évoquer, et qui est à la source de l’accolement des deux termes, licenciements et boursiers, et du malentendu qu’il suscite.
Une erreur d’anticipation
La bonne nouvelle est en l’occurrence une mauvaise surprise : le marché s’attendait effectivement à une baisse du chômage, c’est la bonne nouvelle, mais plus importante que celle annoncée, c’est la mauvaise surprise. Ces complications sont prises en compte par les spécialistes dans les « études d’évènements » qu’ils effectuent avec un soin méticuleux pour mesurer l’impact d’un évènement particulier, comme la hausse ou la baisse du chômage, sur la valeur globale des actions en bourse. Même s’ils vont dans le même sens, les résultats micro-économiques, à savoir l’impact de licenciements effectués par une société en particulier sur la valeur de ses propres actions, sont plus difficiles à interpréter, car un certain nombre d’autres facteurs que celui des licenciements peuvent venir « polluer » son impact.
Cette question a fait récemment la une de l’actualité économique avec la décision que vient de prendre la banque américaine Goldman Sachs de licencier 3 200 de ses salariés, soit 6,6% de ses effectifs, ou encore l’annonce par les grandes sociétés technologiques du licenciement de plusieurs centaines de milliers de leurs salariés. Mais il existe une différence sensible, même si elle déborde le sujet de cette chronique, de nature culturelle entre les licenciements des entreprises américaines et européennes. Ces dernières licencient moins, mais font porter l’effort de redressement sur le plus grand nombre de ceux qui restent dans l’entreprise.
Deux mesures
En définitive, il existe un profond hiatus dans l’opinion publique entre la réalité de l’impact des licenciements sur les cours boursiers et sa compréhension. Deux mesures de politique publique permettraient de combler ce fossé : l’actionnariat salarié et l’introduction d’un pan de capitalisation dans les régimes de retraite.