La généralité des propos sur la pauvreté ne nous éclaire guère sur la réalité des personnes concernées et ouvre la porte aux propositions faciles. Cibler la relance sur les salaires, voire les petits salaires, ou augmenter le RSA et les minimas sociaux peut donner l’impression d’être actif mais cela ne permet d’atteindre que marginalement et à grands frais ces personnes… Et, faire payer les riches ne saurait justifier cette inefficacité.
De fait, ces personnes ne s’identifient pas aux chômeurs, sachant que le taux de chômage est aujourd’hui plus bas qu’il ne l’était il y a un an, même s’il est en hausse depuis son point bas de juin. Elles ne s’identifient pas aux chômeurs partiels dont la rémunération a été assez largement préservée par les mesures décidées par le gouvernement.
Ce ne sont pas les salariés, sachant que le pouvoir d’achat des salariés restait orienté à la hausse au deuxième trimestre.
Ce ne sont pas non plus les petits salaires qui ont bénéficié de la revalorisation du SMIC de 1,2% au 1ier janvier.
Ce ne sont pas les retraités qui, pour les plus modestes d’entre eux, bénéficieront d’une préservation du pouvoir d’achat.
Ce ne sont pas plus les bénéficiaires du RSA dont les perspectives de retour à l’emploi se sont certes réduites mais qui ont bénéficié d’une revalorisation de 0,9% au 1ier avril ainsi que d’une prolongation des droits…
De fait, nos instruments traditionnels de mesure statistique et de politique économique ne permettent pas de cibler correctement et à temps ces personnes, qu’elles noient dans des moyennes sans pertinence. Ils ne détectent à ce stade aucun problème majeur. Et, pourtant, toutes les informations dont nous disposons font ressortir une forte hausse de la pauvreté suite à la crise sanitaire. Les effectifs de bénéficiaires du RSA ont augmenté de 1,2% au premier trimestre et les dépenses de RSA des départements sont en forte hausse. La remontée du chômage, qui est imputable à la baisse des reprises d’emploi, pointe une détérioration de la situation des chômeurs de longue durée et des jeunes primo-entrants sur le marché du travail. Le nombre de personnes ayant sollicité l’aide du Secours Populaire a explosé. Et surtout, 45% de ces personnes étaient inconnues de l’association et appartenaient à des catégories sociales qui n’étaient pas considérées comme fragile avant la crise.
Que faire dans ces conditions ? Il faut éviter les mesures générales, et leurs mauvaises incitations, et déplacer les frontières des aides au cas par cas pour s’adapter aux particularités individuelles. Pour cela, il faudrait avoir une meilleure connaissance des mouvements conjoncturels de la pauvreté. Ceci suppose de mettre en place un réseau d’observation de la pauvreté capable d’alerter et de réagir, non point dans quelques mois mais en temps réel, par coopération entre l’Etat et les organisations présentes sur le terrain, en veillant à ne pas fermer les yeux sur les situations souvent dramatiques de ceux qui échappent à tous les « radars sociaux », comme certains « sans-papiers ». En attendant l’acte II de la stratégie gouvernementale de lutte contre la pauvreté, l’aide exceptionnelle de 150 euros à destination des bénéficiaires du RSA et l’allocation de solidarité spécifique ainsi que son extension aux jeunes boursiers et bénéficiaires de l’aide au logement décidées la semaine dernière, présente l’intérêt de ne pas être trop général. Pourtant, elle reste encore mal ciblée et devrait être complétée par des mesures beaucoup plus pragmatiques et sélectives.