Et si élever le taux d’emploi des seniors était la solution à bien des maux français ? Endettement, retraites, bien-être : pour Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur, il y a urgence à s’emparer de ce chantier.
La chose est entendue, la vraie spécificité française n’est pas l’âge de départ à la retraite, mais le faible pourcentage des seniors (55-64 ans) en activité de 57 %, un véritable gâchis français. En activité, ça signifie la création supplémentaire de richesse, l’augmentation du PIB et la réduction des déficits publics.
Comme nous l’avons montré au travers d’une étude au niveau international, l’emploi des seniors ne se fait pas au détriment de l’emploi des jeunes. Bien au contraire, le travail des seniors favorise le travail des jeunes et il n’y a pas d’effet de substitution, mais de complémentarité.
Financer le modèle social
En un mot, le travail des seniors est un des éléments clés de la croissance, du bien-être collectif et donc de la préservation du modèle social français. Nos calculs ont montré que le PIB serait augmenté dès 2032 de 3 points grâce à 800.000 seniors et 400.000 jeunes de plus seraient en activité, si on s’inscrit sur une trajectoire visant à s’approcher en 2040 des taux actuels en Allemagne. C’est aussi, en 2032, un financement supplémentaire de 40 milliards d’euros, disponible pour le modèle social.
Mais pour cela, il faut surmonter la vraie difficulté, celle de l’envie de demeurer dans son travail ou celle de vouloir s’y insérer, ce qui pose le problème des rapports nouveaux au travail que nous découvrons en cette période post-Covid.
Nous avons analysé les raisons pour lesquelles une majorité de gens ont souhaité quitter rapidement leur activité et donc prendre leur retraite. Les raisons sont connues, il s’agit de l’absence de satisfaction dans le travail, des problèmes de santé psychique ou physique et de la difficulté d’accès à la formation, mais notre étude statistique démontre la grande importance qu’il faut accorder au premier facteur.
Un « congé réflexion carrière »
C’est avec cela qu’il nous faut rompre. Nous venons de faire une proposition totalement disruptive qui se pose en réforme sociétale susceptible d’aller contre l’idée fausse qu’à partir de 55 ans les individus sont largement dépassés et, quelque part, inutiles.
C’est la raison pour laquelle nous proposons de mettre en place un congé « réflexion carrière ». Cet outil, qui se présente sous la forme d’une période de réflexion offerte aux seniors de 50 à 53 ans, allant de quelques jours à, au maximum, un mois, leur permettrait de faire le point sur leur carrière et de préciser leur projet professionnel ; ce congé pourrait être pris de manière discontinue, en accord avec l’employeur.
Ce congé est lié à quatre cas de figure déclencheurs distincts : la volonté de se maintenir dans son emploi, l’envie d’évoluer dans son entreprise, la volonté de changer d’environnement, voire de se reconvertir, et enfin la situation de chômage.
Chacune de ces situations ferait l’objet d’outils adaptés à la situation de chacun, renforçant l’individualisation des réponses apportées. Et, afin de suivre l’évolution de la situation, un bilan serait établi un an après la conclusion du congé carrière. France travail jouerait un rôle majeur en finançant ce congé et en se portant garant du bilan de compétences et des souhaits exprimés par le salarié.
Le potentiel inexploité des seniors
Cette démarche s’inscrit dans une volonté de valoriser l’expérience et le savoir-faire des seniors, souvent sous-estimés, et d’encourager les entreprises à reconnaître et à investir dans le potentiel souvent inexploité de cette tranche d’âge.
Remettre le projet professionnel et personnel de chacun au coeur du débat sur le maintien en emploi des seniors permet de créer une véritable rupture avec la vision d’obsolescence des compétences, trop fréquemment associée aux seniors dans les entreprises, et en même temps de favoriser leur future satisfaction au travail, gage d’un maintien en emploi.