Emmanuel Macron n’a pas l’intention de toucher aux 35 heures et à l’âge de départ à la retraite. C’est regrettable, estime Philippe Trainar, du Cercle des économistes. Les Français ne travaillent pas assez et cela explique les différences de richesse observées entre la France et ses principaux partenaires.
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République a lancé un cycle de réformes importantes du marché du travail, du marché des produits et de la fiscalité. Même si elles pèchent par leur timidité, ces réformes n’en ont pas moins porté leurs fruits au niveau de l’activité et de l’innovation économiques. A l’issue du grand débat national, on attendait des annonces qui auraient donné un second souffle à la politique de réforme du président. Force est cependant de constater que ce second souffle a été absent de la conférence de presse du président, qui a clôturé le grand débat national.
Notamment, le président ne s’est attaqué à aucun des deux obstacles majeurs qui pèsent encore sur notre économie : l’absence de maîtrise des finances publiques et le faible niveau d’activité des Français en âge de travailler. Et pourtant, la tâche n’était pas insurmontable.
Point n’était besoin de s’attaquer à ces deux obstacles en même temps : il suffisait de s’attaquer à l’un d’eux seulement, dans un premier temps, pour améliorer la situation générale. Une meilleure maîtrise des dépenses publiques aurait permis d’accélérer la baisse de la fiscalité qui pèse sur les facteurs de production. Alternativement, un accroissement de la durée du travail aurait permis de faire rentrer plus de recettes fiscales.
Les Français travaillent moins
Naturellement, s’il y avait un obstacle à traiter en priorité, c’était celui de l’insuffisant niveau d’activité des Français qui explique l’insuffisance des ressources de nombreux ménages et la pression qui s’exerce sur les dépenses publiques, notamment les dépenses sociales et de redistribution. Or, sur ce point, le président n’est pas revenu sur son intention de ne pas toucher aux 35 heures et à l’âge de départ à la retraite à 62 ans.
Cela peut paraître d’autant plus surprenant que la préparation de la réforme des retraites, confiée à Jean-Paul Delevoye, a clairement mis en évidence la persistance d’un déficit significatif de notre système de retraite au cours des vingt-cinq années à venir, dans les projections retenant des hypothèses économiques réalistes, c’est-à-dire dans le prolongement de la tendance observée au cours des vingt-cinq années précédentes.
De fait, la comparaison de l’économie française par rapport à ses principaux partenaires fait ressortir une durée totale de travail par personne en âge de travailler bien plus faible. Les jeunes Français entrent plus tard dans la vie active que leurs homologues étrangers, sans que l’allongement de la durée d’études, auquel cette entrée plus tardive correspond, se traduise par une augmentation de la productivité et de la rémunération par tête.
Une fois entrés sur le marché du travail, les jeunes Français y travaillent moins longtemps, sur la semaine (du fait des 35 heures), sur l’année (grâce à des congés payés plus longs et à des jours chômés plus nombreux) et sur la vie professionnelle (grâce à un âge de départ à la retraite plus bas). Au total, le Français travaille, en moyenne, sensiblement moins que la plupart de ses homologues étrangers au sein des économies avancées.
Effet psychologique
Les économistes ont montré que cet écart de durée de travail expliquerait à lui seul les différences de richesse observées entre la France et ses principaux partenaires au niveau du PIB par tête et au niveau du salaire par tête, dont il faut rappeler qu’il a définitivement décroché par rapport au marché international. Mais, la perte n’est pas qu’économique, elle est aussi sociale et psychologique. Les actifs français ont en effet un sentiment d’appauvrissement, de déclassement, d’inégalité et de fatalité, que l’on ne retrouve guère ailleurs, sauf dans les pays qui nous ont copiés, notamment en Europe du Sud.
Ce sentiment ne reste pas confiné aux actifs, il se propage aux retraités et aux allocataires des prestations sociales, dont nous avons de plus en plus de mal à préserver le niveau de vie, au prix de prélèvements croissants… sur les actifs. Ceci nourrit des ressentiments sociaux extrêmement dangereux.
La combinaison du grand débat national et du travail sur la réforme des retraites pouvait laisser espérer a minima une correction au niveau de l’âge de départ à la retraite, correction que justifie pleinement et la situation financière de notre système de retraite et l’allongement de la durée de vie aux âges plus élevés, tout particulièrement l’allongement de la durée de vie en bonne santé. Il n’en a rien été. On ne peut que regretter ce rendez-vous manqué avec l’histoire, qui relativise d’ores et déjà la portée réelle de la réforme annoncée des retraites.