Le plein emploi serait-il sur le point de devenir réalité, après 30 ans de chômage de masse ? Pour Jean-Hervé Lorenzi, nous en serions très proches. Mais la conjoncture mondiale nous renvoie à l’évidence : nous n’éviterons pas une récession. C’est pourquoi il est urgent de revoir deux répartitions et de réconcilier, enfin, Keynes et Schumpeter.
Quelle audace il faut aujourd’hui, après 30 ans de discours sur le chômage de masse, maladie spécifiquement française, pour évoquer ce tabou d’un plein emploi à portée de vue dans les 5-6 ans qui viennent.
Et pourtant, c’est une position que l’on peut raisonnablement défendre. Mais ceci suppose une véritable rupture dans l’organisation de notre marché du travail. Il suffit pour se convaincre de cela, de regarder le rapport Adecco d’il y a quelques jours qui avance le chiffre de 4,5 millions de postes de travail qui pourraient être proposés au cours de l’année 2023. Même si tout cela est surestimé, le vrai problème du marché de l’emploi en France est désormais d’attirer toute une population, notamment jeune, vers des métiers qui apparaissent comme peu attractifs et sans perspectives de carrière.
La courte embellie de l’économie mondiale
En réalité, ces tout derniers mois nous ont donné raison. Oui, le chômage avait baissé, oui les créations d’emploi s’étaient multipliées, oui le flux net d’arrivée sur le marché du travail s’était réduit de manière très significative, lié à l’importance du nombre de départ en retraite. En un mot, on avait repris confiance dans une perspective heureuse, celle de monter la quantité de travail dans notre pays, celle de réduire donc les déficits publics et pour peu que l’on investisse suffisamment dans l’industrie, réduire le déficit commercial.
Et puis la conjoncture mondiale s’est détériorée. Une inflation très largement exogène est apparue, poussant les banques centrales à augmenter leur taux d’intérêt et surtout la hausse des salaires un peu partout dans le monde fut et est inférieure à la hausse des prix. Ceci évidemment a permis aux entreprises d’obtenir des résultats exceptionnels, mais à court terme.
Dans les mois qui viennent, la question n’est pas de savoir s’il y a récession, évidemment elle aura lieu – mais son importance et sa durée. Que peut-on proposer ? L’objectif n’est pas d’éviter un trou d’air significatif pendant quelques mois mais de se retrouver sur cette trajectoire favorable des dernières années, et cela vraisemblablement à partir de 2024. Pour obtenir ce résultat, il faut d’urgence réconcilier Keynes et Schumpeter.
Les deux répartitions à transformer
Si l’on traduit cette formule un peu sibylline en termes concrets, il s’agit de favoriser de manière équilibrée une demande, ressort de la croissance et une innovation qui permet à l’offre d’être compétitive sans pour autant se cantonner à une rationalisation d’une production traditionnelle c’est-à-dire à des suppressions d’emplois.
Cette ambition repose sur l’idée simple, qu’une croissance est définie par des répartitions. En fait, deux répartitions nous intéressent avant toute chose. La première est celle qui concentre tous les débats d’économistes depuis deux siècles, la répartition entre revenus du capital et revenus du travail. On voit bien que si la part des revenus du travail est insuffisante la demande globale le sera évidemment. Mais si les revenus du capital sont faibles, l’incitation à investir et donc à innover le sera également.
La seconde répartition est tout aussi importante, mais plus originale dans la réflexion économique. Elle part du principe que l’innovation peut prendre deux formes. Il y a d’abord celle qui conduit à une substitution du capital au travail, pour rationaliser la production et qui détruit des emplois. Et puis il y a celle que l’on peut baptiser de capacité qui permet le développement de nouveaux biens et services, d’une nouvelle offre. Elle, elle permet de créer des emplois.
Les calculs que l’on peut faire montrent qu’une croissance durable et raisonnable, qui respecte les valeurs souhaitées de ces deux répartitions permettent d’envisager de quitter cette fatalité d’un chômage de masse.