Relancée par Emmanuel Macron, la question lancinante du temps de travail des Français revient dans le débat. Plutôt que de s’attaquer de nouveau à la durée légale, mieux vaut donner la priorité à ceux qui sont aujourd’hui en marge du marché du travail, estime Stéphane Carcillo, membre du Cercle des économistes.
A la sortie du grand débat, le chef de l’Etat a reposé la question du temps de travail. Comme il l’a rappelé, la hausse du pouvoir d’achat ne peut pas durablement être réalisée par les seules baisses d’impôt, dans un contexte où les besoins de financement de dépenses prioritaires comme l’éducation, les retraites ou la prise en charge de la dépendance ne cessent d’augmenter. Pour booster nos revenus il faudrait donc avant tout augmenter notre production et, à cette fin, il serait nécessaire de travailler plus. Or les Français affichent seulement 1.526 heures travaillées au compteur contre 1.751 dans la moyenne des pays de l’OCDE.
A priori, rien de plus simple à réaliser : on a abaissé la durée légale du travail à 35 heures en 2000, on devrait pouvoir la remonter à 39 heures, voire au-delà, vingt ans plus tard. L’effet attendu est clair : si on travaille plus pour le même salaire mensuel, le coût horaire du travail chute ce qui renforce le nombre d’heures demandées par les entreprises et donc le PIB. Du même coup, on peut enfin revenir sur les aides publiques consenties aux entreprises pour amortir le choc attendu sur le coût du travail.
Ce raisonnement ignore, d’une part, que les salariés à temps plein travaillent déjà près de 39 heures en moyenne contre 40 heures dans l’OCDE, grâce aux heures supplémentaires, au forfait jours, et aux divers accords d’adaptation du temps de travail. Il ignore aussi que les changements de durée légale s’accompagnent systématiquement de compensations salariales. Par exemple, le Québec a abaissé la durée légale entre 1997, et 2000, et en Allemagne des réductions de la durée conventionnelle furent négociées dans les années 1980. Les études académiques ont montré dans les deux cas que le salaire mensuel n’a pas baissé en parallèle, afin de ne pas démotiver les salariés. A l’inverse, suivant ce principe, une hausse de la durée légale s’accompagnerait d’une hausse du salaire mensuel de base, et donc n’affecterait pas ou peu le coût horaire du travail. Dès lors, il ne faut pas s’attendre à des effets massifs sur les heures totales travaillées une fois que les entreprises auront ajusté leur main-d’oeuvre.
Travail à temps plein
Si les Français travaillent moins que leurs voisins, c’est surtout en réalité parce qu’ils ont plus de jours de congé et, d’une manière générale, plus de jours non travaillés sur l’année. Si le nombre de jours fériés est dans la moyenne de l’OCDE (11), le nombre de jours de congé est nettement supérieur du fait des jours de RTT (29 en moyenne dans le secteur privé, contre 19). En parallèle, beaucoup trop de personnes en âge de travailler n’occupent pas un emploi pendant toute l’année et sont en situation de sous-emploi. Le recours excessif aux contrats courts génère des allers-retours multiples vers le chômage et coûte très cher à la collectivité.
Enfin, et surtout, le nombre d’heures travaillées est insuffisant aux deux extrémités de la vie active : les jeunes Français rencontrent trop de difficultés d’insertion sur le marché du travail ; quant aux seniors, l’âge effectif de sortie du marché du travail est parmi les plus bas de tous les pays de l’OCDE alors que l’espérance de vie y est l’une des plus élevées.
En d’autres termes, pour faire travailler davantage les Français, tenter d’augmenter les heures des salariés à temps plein en revenant sur les 35 heures semble une stratégie plus risquée que celle qui consisterait à remettre, ou maintenir, en emploi ceux qui se trouvent aujourd’hui en marge du marché du travail.