Alors que les montants à mobiliser pour la transition écologique sont colossaux, l’état des finances publiques appelle à en remettre à plat le financement. Pour Alain Trannoy, la dette perpétuelle pourrait être une réponse à cette équation compliquée. Selon lui, ce modèle de financement permettrait de répartir équitablement les coûts entre générations tout en réservant des ressources fiscales renouvelées aux conséquences immédiates du changement climatique.
Cet article est extrait du quatrième numéro de la revue Mermoz, « Aux impôts, citoyens ! ».
Il ne faut pas sacrifier le long terme au court terme. Phrase banale, même chez un Premier ministre, en l’occurrence Michel Barnier. Les travaux pratiques semblent nettement plus difficiles surtout en période de réduction du déficit public. Au hasard, les coupes sur le budget de l’écologie : Ma Prime Rénov’ – consacrée à la rénovation énergétique des bâtiments – amputée d’un milliard d’euros, les primes à l’achat de véhicules électriques grevées de 500 millions d’euros, et le Fonds vert pour les collectivités, qui doit accélérer la transition écologique dans les territoires réduit de 400 millions d’euros. Manifestement, cette coupe de près de 2 Md€ prouve que la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas une priorité, comme l’est par exemple le budget des armées. On peut y voir bien évidemment un simple choix politique malheureux mais ce choix est aussi dicté par le fait que le très long terme est un impensé des finances publiques. Si l’on y réfléchit, on arrive à la conclusion que les dépenses visant à la neutralité écologique devraient être financées par de la dette, et en fait de la dette à la plus grande maturité possible et en fait même de la dette perpétuelle. En revanche, les dépenses pour nous protéger des conséquences du réchauffement et des aléas climatiques devraient être financées par l’impôt et, en fait, un impôt frappant plus spécifiquement les propriétaires car ce sont eux qui vont être impactés.
Le budget consacré à la transition écologique est en fait victime d’un manque de doctrine et de réflexion approfondie concernant le choix entre la dette et l’impôt dans les traités de finances publiques comme dans la LOLF. Ce choix est pensé globalement à l’échelle de tout le budget, en termes macro, ce qui a sa rationalité bien évidemment pour moduler l’action de l’Etat en fonction du cycle économique. Mais une réflexion à l’échelle de chaque grand type de dépense publique est également indispensable. Et particulièrement pour des dépenses qui engagent le long terme et même le très long terme.
Et cette réflexion doit être menée au-delà de la traditionnelle division entre les dépenses de fonctionnement et d’investissement que doivent respecter les collectivités territoriales. Il leur est rigoureusement interdit de financer des dépenses de personnel, des dépenses courantes ou des subventions aux associations par de la dette. Le raisonnement est connu : il faut mettre en accord la temporalité du bénéfice des dépenses et celle de leur coût budgétaire. Ainsi une dépense de cocktail dans une mairie ou des dépenses maladie vont avoir des effets « bienfaisants » ou salutaires immédiats. Ils doivent être financés par l’impôt ou des cotisations sociales. A contrario, l’utilisation d’une école va s’étaler sur des dizaines d’années et donc également le remboursement du coût de sa construction qu’il est donc naturel de financer par emprunt.
Il y a cependant une difficulté majeure avec les dépenses nécessaires pour aboutir à la neutralité carbone à l’horizon 2050, objectif que nous nous sommes engagés à respecter à l’accord de Paris. Elles ne vont porter leurs fruits à cette date que si tous les pays signataires de cet accord le respectent. Le réchauffement climatique sera alors bien limité à l’échelle de la planète à 1,5 degré. Si l’Europe et quelques autres pays semblent bien partis pour respecter leur parole, l’incertitude domine pour les Etats-Unis. La Chine ne s’est engagée que pour 2060 et l’Inde pour 2070. Autant dire qu’il est moins que probable que les générations de Français en vie sur dans notre pays jusqu’en 2050 enregistrent un bénéfice climatique de leurs dépenses pour la transition énergétique. Bien sûr, les véhicules électriques sont moins polluants, nos villes seront plus propres. Mais il y fera toujours plus chaud et plus humide à cet horizon.
Donc, pour l’essentiel, ces dépenses vont profiter à toutes les générations futures. Notre génération va donc rendre service à toutes celles qui vont se succéder sur cette terre. Cet effort d’aboutir à une économie décarbonée doit être réalisé une fois et une seule et il incombe à notre génération de le faire. Dans ces circonstances, l’outil de financement qui s’impose est la dette perpétuelle, nous empruntons une dette que nous passerons de génération en génération dont nous paierons les intérêts mais dont le principal ne sera jamais remboursé ou en tout cas à aucune échéance fixée d’avance. En dehors de la logique économique de procéder ainsi, un tel outil est également utile pour éviter une inefficience dynamique : il est utile de disposer d’actifs qui se transmettent de génération en génération, la monnaie en est un mais elle ne protège pas de l’inflation, le foncier en est un second et la dette perpétuelle viendrait s’y ajouter.
Est-ce avantageux et réaliste sur le plan financier ? A l’heure actuelle, la France emprunte à 50 ans au même taux qu’à 10 ans, 3 %. Bien sûr, nous pourrions obtenir un taux encore plus avantageux si tous les pays de l’Union européenne acceptaient de procéder ainsi et de grouper leurs émissions de dette perpétuelle. Mais combien de temps faudra-t-il pour faire accepter ce raisonnement à nos amis allemands et de l’Europe du Nord ? Quel montant de ces émissions de dette perpétuelle ? Selon le rapport Pisani-Mahfouz, la France doit débourser environ 50 Md€ par an d’ici 2050 pour la transition énergétique. Donc au total une somme cumulée de 1250 M€ empruntée en dette perpétuelle coutera en régime permanent 37,5 M€ de charges d’intérêt soit 1 % du PIB de 2050 en posant une hypothèse de croissance basse mais peut-être réaliste de 1 % par an. Cette dette perpétuelle ne rentrera pas dans le ratio dette sur PIB puisqu’elle n’implique aucune charge de remboursement du principal de la dette.
En quoi ce mode de financement aurait-il protégé le budget du ministre de la transition écologique pour les dépenses ciblées vers la neutralité carbone ? Tout simplement en appliquant un principe d’affectation de l’emprunt perpétuel à ce type de dépense qui n’enfreint même pas le sacro-saint principe de non-affectation de l’impôt à tel type de dépense, puisque par principe aucun impôt ne doit financer cette transition. C’est à une inversion totale de logique que nous invitons. Plutôt que dans la préparation du budget, on se pose la question de savoir quel impôt on pourrait augmenter et ensuite si on n’arrive pas à couvrir les dépenses, de recourir à l’emprunt, celui-ci n’apparaissant que comme un solde entre un montant de dépenses et un montant d’impôts que l’on pense pouvoir exiger, on renverse la logique. Le Ministère de l’Economie et des Finances commence par se demander ce qui est logique de financer par emprunt, et donc en priorité la réduction de la dette écologique que nous laisserons à nos successeurs, et ensuite on finance par impôt ce qui est contraire au bon sens de financer par emprunt et en premier lieu la sécurité sociale !
Ce raisonnement ne s’applique pas aux dépenses qui visent à contrer les effets du réchauffement climatique qui vont bénéficier aux générations présentes, et c’est heureux, sans cela les pauvres ! Le financement par impôt s’impose, même si l’emprunt à court terme peut aider. Deux raisonnements, qui se rejoignent d’ailleurs, sont possibles pour orienter le raisonnement vers la cible de ces hausses d’impôt. Le premier met en cause les ménages les plus aisés qui sont plus émetteurs de CO2 que les autres selon les calculs de Lucas Chancel. Un prélèvement spécifique sur ces ménages se justifie donc sur un plan moral. Mais on peut arriver à la même conclusion en observant que les ménages propriétaires sont en première ligne pour être les victimes des effets néfastes du risque climatique, en particulier les inondations. En général, les locataires habitent des immeubles collectifs. Les dépenses visant à rehausser les digues, à construire des retenues en amont, à draguer les rivières vont empêcher que les propriétés au bord des cours d’eau soient totalement décotées. Une surtaxe sur les propriétaires fonciers pour alimenter ce type de dépense au niveau local semble donc indiquée puisqu’ils seront les principaux bénéficiaires de ces travaux de prévention.