La tendance baissière du prix du carbone est-elle positive ? Si un prix élevé est un levier dans la lutte contre le réchauffement climatique, une dynamique baissière peut refléter le succès des actions de décarbonation, explique Valérie Mignon.
Cela fait près d’un an que le prix du carbone affiche une tendance baissière, particulièrement accentuée depuis le début de l’année 2024. Faut-il s’inquiéter d’une telle dynamique eu égard à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ?
Le prix du carbone résulte de deux instruments principaux, la contribution climat énergie – communément appelée « taxe carbone » – et le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE). Alors que la taxe carbone s’apparente à un prélèvement monétaire sur le prix de vente d’un bien, le SEQE est un marché dans lequel un plafond d’émissions est fixé et au sein duquel les participants peuvent acheter des quotas s’ils émettent trop de CO2 ou en vendre (cas des petits émetteurs). Ce système fonctionne ainsi selon le principe du pollueur-payeur.Alors qu’il était proche de 100 euros la tonne il y a un an, le prix du carbone avoisine désormais les 60 euros sur le marché des quotas. Pourquoi ?
Prix du gaz
L’une des causes tient au marché gazier. Rappelons que le prix du gaz avait côtoyé les sommets lors de la crise énergétique déclenchée par le conflit russo-ukrainien du fait de la forte dépendance des économies occidentales, au premier rang desquelles l’Europe, aux hydrocarbures russes. Les craintes européennes en matière d’approvisionnement en gaz étant aujourd’hui dissipées, son prix s’est inscrit dans une tendance baissière. Cette évolution a limité le recours au charbon, énergie plus polluante que le gaz, atténuant les émissions de CO2 et, en conséquence, la demande de quotas. Le ralentissement du prix du gaz s’est ainsi accompagné d’une baisse de celui du carbone.
L’accélération du déploiement des énergies renouvelables dans certains pays comme l’Allemagne, plus grand émetteur de CO2 en Europe, a aussi contribué à tirer vers le bas la demande de quotas et, par là-même, le prix du carbone. Le ralentissement du secteur industriel lourd en Europe est également un élément ayant participé à la réduction de la demande de quotas. Tel est notamment le cas du secteur sidérurgique, gros consommateur de quotas, qui a dû faire face, après la pandémie, à la hausse des coûts de l’énergie. Ces évolutions concourent ainsi à expliquer la décroissance du prix du carbone.
Levier de la décarbonation
Une telle baisse est-elle problématique ? D’un côté, un prix du carbone trop faible peut désinciter les entreprises à décarboner leur activité, entravant ainsi la transition énergétique. Un prix élevé est coûteux pour les entreprises fortement émettrices, ce qui les pousse en effet à accélérer la transition en investissant dans des procédés décarbonés. D’un autre côté, un prix en baisse témoigne d’un ralentissement de la demande de quotas, reflétant une réduction accrue des émissions de CO2 dans les secteurs fortement polluants, en phase avec la lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, un prix élevé du carbone peut nuire à la compétitivité des entreprises qui voient leurs performances entravées, au pouvoir d’achat des ménages qui subissent le renchérissement de nombreux biens et, par-là même, à la croissance économique. La Suède constitue toutefois un contre-exemple, puisqu’avec un prix de la tonne parmi les plus élevés au monde, elle montre qu’il est possible de conjuguer objectif de neutralité carbone et croissance économique.
Au total, si un prix élevé du carbone constitue un levier dans la lutte contre le réchauffement climatique, sa dynamique baissière peut refléter une réduction de la demande de quotas, signe d’une diminution accélérée des émissions de CO2 des plus gros pollueurs et d’accroissement nécessaire des investissements dans la décarbonation.