La transition écologique est enterrée aux Etats-Unis, au moins au niveau fédéral, et rencontre un mur d’opposition en Europe. Les manifestations du backlash écologique vont de la mise en cause de l’inflation réglementaire à, ce qui est plus préoccupant, la contestation des faits scientifiques.
En Europe, la critique principale porte sur l’inflation normative. La Commission européenne est connue pour sa production prolifique de directives. La France est souvent accusée de zèle excessif : c’est la fameuse surtransposition. Entre autres, l’interdiction des voitures thermiques d’ici 2035, la fin des chaudières au fioul, les Zones à Faibles Émissions (ZFE), le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) suscitent de fortes oppositions.
Règlementer est justifié dans deux cas : quand la technologie ou produit dont on veut limiter l’usage ou que l’on veut éliminer est dangereux, pour la santé humaine ou pour la biodiversité par exemple, et quand la population n’accepte pas les politiques de prix (taxe carbone, taxe sur les pesticides…). Les gouvernements ont traditionnellement une préférence pour les normes et réglementations par rapport aux taxes car elles soulèvent sur le moment peu d’opposition, le coût supporté par les agents qui les subissent étant caché, alors que le coût supplémentaire induit par une taxe est parfaitement visible. En outre, normes et réglementations semblent à première vue plus justes que la taxe : tout le monde y est assujetti de la même façon, alors que dans le cas de la taxe les plus pauvres sont contraints tandis que les plus riches peuvent payer et ne pas changer de comportement. Après le mouvement des gilets jaunes en France, la préférence de l’Europe pour les réglementations s’est encore accentuée. On s’aperçoit maintenant que l’acceptabilité des réglementations est bien moins bonne que ce que l’on avait cru. S’est-on trompé d’instrument ?
Prenons l’exemple de l’interdiction de la mise en location des passoires thermiques (c’est-à-dire des logements étiquetés G sur le diagnostic de performance énergétique), effective en France depuis le 1er janvier 2025. Sur le papier la mesure peut sembler bonne : elle est sensée inciter les propriétaires de ces logements à effectuer les travaux de rénovation nécessaires pour en améliorer la performance énergétique et donc diminuer les émissions de C02. Mais personne ne peut affirmer que c’est bien ce qu’il se produira dans la réalité. Les propriétaires peuvent tout aussi bien renoncer à louer ces logements, provoquant une aggravation de la situation déjà problématique du marché locatif, défavorable aux plus pauvres. Ils peuvent aussi continuer à les louer en l’état, dans une entente tacite avec leurs locataires, probablement sans dommage car les contrôles, très coûteux, risquent d’être fort rares. Ce type de réglementation provoque un fort ressentiment et pénalise les moins aisés, probablement sans effet notable sur les émissions de CO2. Nous n’aurons le fin mot de l’histoire que quand la mesure sera sérieusement évaluée, si tant est qu’elle le soit un jour car la politique climatique française regorge de réglementations qui ne le sont jamais.
Faut-il alors surmonter le traumatisme des gilets jaunes et se tourner de nouveau vers une politique de prix ? Je le crois. En matière de politique climatique, notre meilleure chance réside dans le renforcement du marché du carbone européen, en l’étendant à de nouveaux secteurs (logement, transport) via l’ETS2, et en améliorant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Donner un prix au carbone pénalise plus fortement les ménages les moins aisés (mais c’est aussi le cas des normes et réglementations) et il est indispensable de corriger cette régressivité. Les recettes issues de la politique de prix doivent être redistribuées sous forme d’aides aux ménages modestes et d’investissements dans des équipements décarbonés. Sans cela ni politique de prix ni réglementations ne seront acceptées et la politique climatique sera dans une impasse, ce qui n’est pas envisageable.