Les questions environnementales ne sont pas nouvelles, mais ont été largement ignorées au début du siècle, faute d’urgence immédiate. Comme l’explique Patrice Geoffron, les trois dernières crises majeures auxquelles nous avons fait face auraient pu être évitées, ou avoir de moindres conséquences, si nous nous étions engagés sur la voie de la décarbonation plus tôt.
Dans les colonnes des Échos, le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, estimait que la politique à l’œuvre face aux prix de l’énergie constituait « l’assurance vie de l’économie française ». Mais, dans cette période qui interroge à nouveau notre résilience, une évidence s’impose : bien plus que le blocage des prix, le meilleur contrat d’« assurance vie » repose sur la décarbonation accélérée de la société française !
Les conséquences d’un sous-investissement dans le bas carbone
Pour s’en convaincre, imaginons où nous en serions aujourd’hui si nous avions investi quelques dizaines de milliards de plus dans les filières bas carbone déjà matures, plus tôt dans ce siècle : transports en commun, mobilités partagées, efficacité thermique du logement, renouvelables, … Avec le mouvement des gilets jaunes, le Covid et la crise énergétique maintenant, notre collectivité a enchaîné des chocs accrus par notre dépendance au carbone. Or cette « trilogie » a fortement pesé sur une dette publique qui, rappelons-le, aura progressé de plus de 1 000 Mds€ en une dizaine d’années. A chaque fois, la séquence est la même : le choc majeur arrive, mobilisant massivement l’État dans l’urgence, avec des conséquences cumulées en centaines de milliards d’euros. Détaillons.
Des recettes perdues
Mouvement des gilets jaunes : ce mouvement s’est construit, dans un contexte de forte remontée du prix du pétrole (doublement entre 2016 et 2018), en opposition à des mesures visant à réduire les déplacements en voiture thermique et a mis en évidence la fragilité du système de mobilité dans les espaces « périphériques » et peu denses, aussi bien que la dépendance au fioul pour le chauffage de millions de ménages. La crise a appelé des réponses à hauteur de 20 Mds€/an et gelé une fiscalité du carbone qui aurait dû produire de l’ordre de 100 Mds€ de recettes additionnelles d’ici 2030.
Une surmortalité
Crise sanitaire : en année « normale », la pollution de l’air en France coûte de l’ordre de 50 Mds€ et est à l’origine de 40000 morts… Des travaux ont démontré, sans réelle surprise, que cette pollution structurelle avait conduit à accroître la mortalité liée au Covid[1], produisant une plus forte pression sur le système de santé, conduisant à plus de contraintes sur les activités socio-économiques, et à plus de prise en charge par des dépenses publiques : soit près de 200 Mds€ de dépenses directes et, au total, une progression de la dette publique d’environ 500 Mds€. A nouveau, une société décarbonée, proposant un air plus « potable », aurait été plus robuste pour affronter cette épidémie.
Des dépenses supplémentaires
Crise énergétique : la guerre en Ukraine conduit à rompre le lien avec la Russie, premier fournisseur de pétrole, gaz et charbon de l’Europe, provoquant un chaos sur les marchés énergétiques. Bruno Lemaire, lors du débat budgétaire à l’Assemblée, a indiqué que « 100 milliards d’euros pour protéger nos compatriotes contre la flambée des prix » auront été nécessaires entre la fin 2021 et la fin 2023. Et peut-être au-delà de cet horizon.
Quelles conclusions tirer de cette avalanche de milliards ? Plus décarbonée, adossée à une dette publique plus réduite, notre société serait plus résiliente à l’abord d’une décennie chaotique. Et, quels que soient les progrès enregistrés à la COP 27, la décarbonation, en réduisant la portée des chocs à venir, opérera bien comme une police d’assurance.