Les cours du pétrole ont débuté le mois de février en nette hausse, aidés par la perspective d’une baisse de la production mondiale, entre la crise au Venezuela, les efforts de l’Opep et les chiffres solides sur l’emploi américain. Patrice Geoffron dresse les perspectives pour 2019 et évoque les conséquences pour la France, notamment en pleine mobilisation des «gilets jaunes».
En 2018, la vulnérabilité de la France aux fluctuations du prix du baril a resurgi, avec une brutalité d’un autre temps, celui des chocs pétroliers des années 1970. Une évidence s’est rappelée à notre collectivité : un pays qui en importe 99% se soumet aux caprices de son prix, sans marges à court terme, et avec des effets disparates selon les secteurs d’activité, le revenu des ménages, leur localisation, leur mode de chauffage, la qualité de leur habitat… L’inflation du cours du baril, d’un plus-bas sous les 30 dollars en janvier 2016, à un plus-haut de 85 dollars en octobre 2018 (pour le Brent), représentera un surcoût d’imports pour la France d’environ 1% du PIB (en comparant les « factures » de 2015 et de 2018).
Certes, l’énergie pèse de l’ordre de 9% du budget des ménages, l’équivalent du début des années 1970 avant le premier choc, et 3% de moins que le sommet atteint en 1985. Mais la France est un pays deux fois moins densément peuplé que ses voisins (hormis l’Espagne), de sorte que la sensibilité aux variations de prix des carburants y est aiguë. En outre, près de 12 % des ménages sont en situation de précarité énergétique, sous le poids des factures du foyer (c’est-à-dire hors transport) et sont donc particulièrement vulnérables aux chocs de prix du fioul, du gaz et de l’électricité, dont les tarifs seront sous tension en 2019 (le Régulateur de l’Énergie requérant une hausse de 6%).
La sortie de la crise des « gilets jaunes » ne dépend certes plus que de la variation des prix et des taxes énergétiques qui a été à l’origine du mouvement. Mais, si le cours du baril (redescendu sous les 50 dollars à Noël, et remonté depuis au-delà de 60 dollars) venait à s’enflammer en 2019, convenons que l’équation de la sortie de crise s’en trouverait plus compliquée encore : parce que les revendications en termes de pouvoir d’achat seraient mécaniquement rehaussées, cela alors que, dans le même temps, l’économie française serait plus encore contrainte par la montée de sa facture d’hydrocarbures (susceptible de « filer » de 10 ou 20 milliards d’euros).
L’alliance Russie Arabie saoudite semble partie pour durer
Or, du côté de l’offre, le prix du baril se joue quelque part entre Riyad, Moscou et, surtout, Washington. Et les incertitudes géopolitiques concernant les volumes de production abondent depuis le début de la présidence Trump, ce dernier étant prompt à sanctionner des producteurs, qu’il s’agisse de l’Iran ou, tout récemment, du Venezuela. Par ailleurs, l’alliance entre la Russie et l’Arabie Saoudite semble partie pour durer (à en juger par la franche accolade entre Vladimir Poutine et Mohamed Ben Salman, au G20 de Buenos Aires fin 2018) et continuer à tirer les cours vers le haut, comme depuis 2016. Certes, la montée en puissance de la production américaine sape, en partie, ces efforts conjoints et constitue un élément de modération du prix du baril, de même que les pressions commerciales à l’encontre de la Chine, qui pourraient peser sur la demande.
Mais, quoi qu’il en soit, Paris n’a aucune prise sur ce nouveau « grand jeu » (de même que Berlin ou Bruxelles) et découvrira si le pétrole vient, ou non, perturber son Grand Débat National. Avec comme défi de garder en bonne place la transition énergétique dans le Débat, pour recycler une part des quelques 100 milliards d’euros par an que coûte directement (en imports) ou indirectement (en effets environnementaux divers) cette dépendance. A l’évidence, là est le « grain à moudre », à condition de se donner le temps.