Si les prix de l’énergie se sont un peu calmés, de vives tensions demeurent sur les marchés. Patrice Geoffron dresse les perspectives jusqu’à leur impact sur le plan social. Selon l’économiste, tout n’est pas noir et quelques signes d’espoir méritent attention.
En 2022, pour la première fois depuis les chocs pétroliers du XXème siècle, les restrictions – effectives ou craintes – du côté de l’offre ont largement pesé sur le niveau des prix énergétiques. Certes, les économies européennes se sont avérées résilientes. Mais le choc a porté la facture des approvisionnements énergétiques à plus de 9 % du PIB de l’UE, contre 2 % en 2020, soit un niveau avoisinant celui du second choc pétrolier de 1979-80, et plus du double de ce qui a pesé sur les États-Unis durant l’année 2022.
Les incertitudes, causes des fluctuations du prix du baril
Comparés aux niveaux « d’avant-guerre », les prix énergétiques ont donc été « fous » en 2022 : à partir d’un stress déjà élevé fin 2021, le déclenchement des hostilités en Ukraine fin février 2022 a conduit sur le marché gazier européen à un pic de prix à un niveau 10 fois supérieur à ceux observés auparavant. Et à une transmission du chaos au marché de l’électricité dans l’UE – avec, il est vrai, les difficultés du nucléaire français comme facteur aggravant. Sur le front pétrolier, le baril, après avoir frôlé les 130 $ en mars 2022, est certes redescendu sous les 100 $ à partir de l’autonome – jusqu’à 70 $ environ présentement. Mais il est tiré vers le bas par les incertitudes sur la croissance mondiale, notamment en Chine, et tout dernièrement par les craintes de crise financière dans le prolongement des failles apparues dans les systèmes bancaires américain et suisse.
Au cœur de ce qui ressemble à une accalmie en ce début d’année 2023, que peut-on imaginer des prix énergétiques dans les temps à venir ?
Même si les cours ne sont plus à des niveaux délirants comme l’année dernière, l’Europe est condamnée à payer durablement chaque molécule et électron plus chers qu’ailleurs : actuellement, le prix du gaz est redescendu sous les 50 $, mais ce niveau est actuellement deux fois supérieur à celui du début 2021, idem pour celui de l’électricité, et remontera à l’approche de l’hiver. Quant au pétrole, le prix n’est plus mondial désormais, puisque les pays qui continuent à commercer avec la Russie – Inde, Chine, Turquie, Malaisie, … – payent la référence « Oural » 20 $ moins cher que le Brent de mer du Nord.
Cette cherté structurelle est une préoccupation pour la compétitivité de l’UE, cela d’autant que les Etats-Unis répondent au choc – d’ampleur bien moindre chez eux – par un vaste plan de verdissement de leurs industries, le désormais fameux « IRA » (Inflation Reduction Act), chargé en subventions.
Plus largement, ce nouveau régime énergétique est également un défi pour la cohésion sociale au sein des États membres de l’UE – et entre eux, qui plus est : selon un calcul du think tank Bruegel, les États européens – Royaume-Uni inclus – ont engagé de l’ordre de 700 milliards de dépenses publique en 2022 pour amoindrir le choc sur les ménages et les entreprises les plus fragiles. Effort impossible à maintenir sur la durée, a fortiori dans un contexte de tensions sur les taux d’intérêt et, par conséquent, sur certaines dettes publiques.
Quelques raisons d’espérer une baisse des prix
De ce bilan d’étape assez sombre, des signes d’espoirs méritent attention. Les chaînes d’approvisionnement en fossiles ont été réorganisées, évitant des pénuries massives. Autrement dit, l’Europe a rompu – pour l’essentiel – les amarres avec la Russie, son premier fournisseur de pétrole, gaz et charbon sans que son économie s’effondre. Cela, notamment, via des efforts d’économies d’énergie qui devront non seulement être maintenus sur la durée, mais être approfondis : comme les pouvoirs publics européens ne pourront pas soutenir indéfiniment les efforts de boucliers tarifaires, les prix monteront sur les marchés de détail. En Europe, comme au Japon depuis Fukushima, sobriété et efficacité énergétiques s’imposeront comme des vertus cardinales. Enfin, et surtout, comme le prix des fossiles sera aux niveaux les plus élevés du monde, l’investissement dans les technologies décarbonées constituera le seul antidote, accélérant par nécessité absolue, la lutte contre le changement climatique.