En quoi la lutte contre le changement climatique serait-elle à même de faire vaciller les banques ? La question mérite d’être posée eu égard aux résultats des stress tests, ou tests de résistance, publiés par la Banque centrale européenne (BCE) début septembre 2023.
Ces stress tests ont pour objectif d’évaluer la capacité de résilience des agents économiques (ménages, entreprises, banques) dans trois scénarii de transition énergétique. Le premier est celui d’une « transition accélérée » permettant d’atteindre d’ici 2030 une réduction des émissions de CO2 compatible avec l’Accord de Paris. Dans le deuxième scénario d’une « transition tardive », la trajectoire actuelle est poursuivie durant trois ans et s’accélère en 2026 pour parvenir aux objectifs du premier scénario. Le troisième scénario consiste en une « transition retardée » qui ne débute qu’en 2026 et s’effectue à un rythme plus lent, ne permettant pas d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris d’ici 2030.
Une perte de 21 milliards en 2030
Les résultats des tests montrent que plus les efforts pour lutter contre le changement climatique sont retardés, plus le risque sur les banques s’accroît. Ainsi, le deuxième scénario engendrerait pour les banques européennes les pertes annuelles les plus élevées jusqu’à un pic de 21 milliards d’euros en 2029, alors qu’elles n’atteindraient « que » 13 milliards d’euros en 2026 avant de décroître à 6,6 milliards d’ici à 2030 si la transition était engagée dès à présent. Dans le cas du troisième scénario, les pertes s’accroîtraient de 9 milliards d’euros jusqu’en 2030 mais augmenteraient considérablement ensuite en raison de risques physiques et de transition à long terme plus importants que dans les scénarii de transition accélérée et de transition tardive.
Pourquoi les banques vont-elles ainsi souffrir de la transition ? Cela s’explique notamment par le fait que les ménages et les entreprises auront probablement plus de difficultés à rembourser leurs crédits en raison de la hausse des prix de l’énergie et du coût des investissements nécessaires à la réalisation de la transition. En effet, une part importante (40 %) des portefeuilles de prêts aux entreprises des banques européennes est orientée vers les secteurs à forte consommation d’énergie, ce qui les rend en conséquence vulnérables au risque de transition. Cela est encore plus vrai pour les grandes banques, puisque moins de 10 % de l’ensemble des banques représentent 90 % de l’exposition aux secteurs à forte intensité énergétique et que celles-ci sont responsables à elles seules d’un tiers du total des prêts dans la zone euro. Les grandes banques sont en outre plus sujettes aux pertes potentielles dans la mesure où leurs expositions aux prêts tendent à être moins garanties.
Une réduction de l’exposition mal reçue
A ces pertes liées au risque de défaut s’ajoute la réaction des marchés financiers qui ne semblent pas voir d’un bon œil les plans de décarbonation des banques. Ainsi, après l’annonce du directeur général de la Société Générale de sa volonté de réduire de moitié par rapport à 2019 son exposition au secteur pétrolier et gazier d’ici à 2025 et d’accélérer la transition énergétique, l’action de la troisième banque française a chuté de plus de 12 % en une journée.
Quoiqu’il en soit, en repoussant l’accélération de la transition énergétique, les banques s’exposent à des risques de défaut massifs, couplés à une hausse des risques physiques – pesant sur l’ensemble de l’économie – comme les catastrophes naturelles. Alors que dans une transition tardive la hausse du risque de crédit relative aux portefeuilles de prêts aux entreprises s’élèverait à 1 point de pourcentage d’ici 2030 par rapport à 2022, celle-ci ne serait en effet que de 0,6 point dans le scénario de transition accélérée. Au total, tous ces éléments plaident pour une accélération de la transition avec le développement significatif d’investissements verts pour réduire les coûts et les risques et à long terme, tant au niveau financier que physique.