Avec la batterie électrique, l’hydrogène se partage le devant de la scène des énergies du futur. Alors que l’Europe se positionne sur ce terrain, Patrice Geoffron explique pourquoi la construction d’une filière de l’hydrogène impliquera un effort sur le très long terme.
Élément chimique le plus abondant de l’univers, l’hydrogène est source d’espoirs fous depuis plusieurs siècles. Dans L’Île Mystérieuse, Jules Verne prophétisait en 1875 que l’eau serait « un jour employée comme combustible » annonçant que « les soutes des steamers et les tenders des locomotives » seraient remplies d’hydrogène comprimé « au lieu de charbon ».
Cette ère post-carbone, où l’hydrogène aura évincé les énergies fossiles, n’est pas encore advenue, et l’on a même oublié que le gaz de ville en France en contenait 50 % (ainsi que du monoxyde de carbone) jusqu’au début des années 1970, avant d’être remplacé par le gaz naturel. Pour l’heure, ses usages sont essentiellement circonscrits à l’industrie chimique (ammoniac pour la fabrication des engrais) et à la pétrochimie (pour le raffinage) et cet hydrogène est très « gris », dès lors qu’il est produit à 95% à partir de gaz, de pétrole et de charbon (la molécule H2 n’étant pas disponible à l’état naturel). Bref, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l’hydrogène fait partie pour l’heure du problème plus que de la solution, induisant l’émission de près d’un milliard de tonnes de CO2 par an (de l’ordre de 2% du total mondial).
Mais l’Union Européenne, qui vise à être neutre en carbone d’ici 2050, ravive un espoir d’émergence d’une économie de l’hydrogène propre dans son Green Deal ; ce à quoi l’Allemagne, la France et l’Italie font écho en prévoyant des milliards d’euros pour construire une filière dans ce domaine. L’objectif est de produire en masse un hydrogène « vert » par électrolyse de l’eau, grâce à une électricité décarbonée (éolien, photovoltaïque, hydraulique…). Au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique, l’enjeu est d’améliorer la qualité de l’air et la sécurité des approvisionnements énergétiques, tout en ouvrant de nouveaux débouchés commerciaux.
La Commission européenne vise en priorité les secteurs industriels lourds comme la sidérurgie, la chimie ou le raffinage pour lesquels aucune autre stratégie de décarbonation n’est envisageable. Pour les modes de transports massifs où le recours aux batteries est contraint par l’autonomie (poids lourds, autocars, trains…) l’hydrogène mérite également d’être exploré, sous réserve d’un maillage de l’Europe par des stations de distribution. A plus long terme, d’autres perspectives pourraient être ouvertes : véhicules légers, transport aérien, navires marchands… Et les Européens devront faire preuve de discernement, car l’hydrogène ne constituera pas nécessairement la solution gagnante pour tous les usages.
La comparaison des coûts donne une idée du chemin à parcourir : l’hydrogène « vert » est environ de trois à quatre fois plus cher que le « gris », de sorte qu’il faudrait à la fois une baisse du prix de l’électricité renouvelable et une hausse du prix du CO2 pour inverser la donne. Et d’autres coloris pourraient être nécessaires à l’émergence d’une filière de l’hydrogène décarboné : le « bleu » (produit à base de gaz naturel, mais en capturant et stockant les émissions de CO2) ou le « jaune » (à base d’électricité nucléaire).
Au total, si les Européens disposent déjà d’atouts industriels (notamment de part et d’autre du Rhin), la construction d’une filière de l’hydrogène impliquera un effort sur le très long terme, avec des effets limités sur les objectifs environnementaux de l’UE en 2030. Pour une Union en quête de souveraineté industrielle, l’hydrogène tiendra lieu de test.