La politique de l’énergie et la diplomatie de Donald Trump ont bouleversé les fondamentaux du marché pétrolier, tant du côté de l’offre que de la demande selon Patrice Geoffron.
Concernant l’offre, l’encouragement à une exploitation décomplexée du pétrole de schiste (amorcée sous Obama) a porté les États-Unis au premier rang mondial des producteurs. En 2030, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la production pourrait y croître d’au moins 50 %, aux alentours de 20 millions de barils par jour, presqu’autant que l’Arabie Saoudite et la Russie réunies. En parallèle, la politique moyen-orientale des États-Unis fait peser des incertitudes multiples sur la production iranienne, irakienne et sur les sites saoudiens par « ricochet ». Tant que planera une menace de conflit dans le détroit d’Ormuz, un emballement des prix très au-delà de 100 $/baril restera plausible. Mais, pour l’heure, le pétrole US suffit à maintenir les cours aux alentours de 60 $, sans capacité de l’OPEP et de la Russie (pourtant coalisées) à les faire remonter vers les 80 $ et au-delà (comme au début de la décennie 2010).
Concernant la demande, la guerre froide commerciale entre les États-Unis et la Chine a également pesé sur les volumes. Pour le futur, même après concrétisation d’un accord, la défiance de D. Trump à l’égard du libre-échange n’est pas favorable au « commerce lointain », ce qui créé des risques de résurgence de conflits commerciaux. Ces facteurs rendent la demande de pétrole plus incertaine encore à l’amorce de cette nouvelle décennie, d’autant que la lutte contre le changement climatique fait émerger (à un rythme certes insuffisant) des technologies de substitution : à nouveau selon l’AIE, en 2030, la consommation de pétrole pourrait varier de 110 à 80 millions de barils par jour, selon l’intensité de la lutte climatique.
Observons d’Europe cette nouvelle scène pétrolière.
Rappel d’une évidence : les Européens ne sont pas invités à ce « grand jeu » qui se joue quelque part entre Riyad, Moscou, et désormais Washington, de sorte que le prix du baril est une donnée totalement « exogène ». Pour la France, selon que le prix est au plus haut (aux alentours de 100 $ il y a 10 ans) ou au plus bas (sous le 50 $ au milieu de la décennie), la facture d’importations de produits pétroliers varie de 40 milliards d’euros (1,5 % du PIB).
Certes, deuxième observation, la néo-puissance énergétique américaine tire structurellement les prix vers le bas, offrant un « cadeau » massif aux grandes zones importatrices : la Chine et l’Europe. Mais, la diplomatie américaine laisse également planer la menace de chocs de prix qui pourraient renchérir les imports de 1 à 2% du PIB européen, sans possibilité de couverture d’un tel risque. La France a eu un aperçu de ses effets, la crise des gilets jaunes ayant surgit à la concomitance d’une montée de la fiscalité carbone et d’un sursaut du prix du pétrole.
Dernière observation : le Green Deal en cours d’élaboration par la Commission Européenne trouve son fondement dans la lutte climatique ; mais son bénéfice sera aussi de s’abstraire d’une dépendance à une matière dont la géopolitique nous échappe totalement. C’est également le mandat confié à la Convention Citoyenne pour le Climat : en proposant des mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030, les 150 Citoyens qui nous représentent répondront tout autant un enjeu environnemental que de sécurité collective pour la France.