Fini le « quoi qu’il en coûte ». Après avoir dépensé 8 milliards d’euros en 2022 pour amortir les fluctuations du prix du baril, l’Etat souhaite expérimenter d’autres pistes. Mais pour Patrice Geoffron, la créativité du gouvernement risque de ne pas suffire.
Le gouvernement aura beaucoup testé pour amortir, à la pompe, les fluctuations du prix du baril. En 2022, l’addition des ristournes pour les finances publiques aura été salée : 8 milliards d’euros, sans compter les efforts demandés à TotalEnergies , contribution volontaire… aux allures de taxe.
En 2023, au terme du « quoi qu’il en coûte », le gouvernement a exploré d’autres voies, en envisageant d’autoriser la vente à perte des carburants, puis en enjoignant les distributeurs à les céder à prix coûtant. Certes, en 2024, le reflux de l’inflation alimentaire pourrait amoindrir l’hypersensibilité actuelle des consommateurs devant leur pompe ; mais, d’ici là, et malgré la créativité du gouvernement, la situation restera « inflammable ».
« A court terme, seul un affaissement de la croissance mondiale pourrait provoquer une baisse nette des prix »
Pour en juger, jetons un œil du côté du marché pétrolier : depuis le début de la guerre, l’alliance au sein de l’Opep + entre l’Arabie saoudite et la Russie tient bon, avec une politique restrictive de l’offre qui pourrait ancrer le baril au-delà de 90 dollars, soit une vingtaine de plus qu’avant l’été.
Du côté de l’offre, il y a peu d’espoir d’observer une nette détente, dès lors que les producteurs américains, seuls aptes à contrebalancer le pouvoir de l’Opep + , sont moins réactifs que durant la dernière décennie. En outre, ne perdons pas de vue qu’il a fallu, en raison de l’embargo sur le pétrole et les carburants russes depuis quelques mois, recomposer une partie des chaînes d’approvisionnement vers la France, avec des tensions sur les coûts (notamment le raffinage).
Du côté de la demande, les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie laissent entrevoir, au niveau mondial, une progression des volumes consommés jusqu’en 2028 (et l’amorce d’une décrue ensuite). Malgré une contraction de la demande dans les économies avancées, cette tendance sera plus que compensée par la dynamique des économies émergentes et en développement et l’explosion de la demande pétrochimique. A court terme, seul un affaissement de la croissance mondiale pourrait provoquer une baisse nette des prix.
L’urgence de la décarbonation
Autrement dit, le gouvernement ne pourra sans doute pas s’en tenir aux mesures d’exceptions en cours, et l’équilibre précaire trouvé auprès des distributeurs doit permettre d’élaborer des solutions plus durables. Tout d’abord, plutôt que d’intervenir en réaction, il serait préférable d’ installer dans la durée l’indemnité carburant (à hauteur de 100 euros) qui bénéficie aux « 50 % des travailleurs les plus modestes qui doivent utiliser leur véhicule », voire de la moduler. Ce dispositif est nettement moins coûteux que les ristournes de 2022 (4,3 millions de Français sont éligibles) et correspond à une réduction de l’ordre de 10 centimes par litre sur une année.
Ensuite, puisque nous avons la garantie de prix erratiques du baril, il faudrait rouvrir le dossier de la « TIPP flottante », dispositif en vigueur sous le gouvernement Jospin et qui faisait varier la fiscalité des carburants en sens inverse de celui du pétrole. Bien conçu, un tel dispositif serait neutre fiscalement et réduirait le stress sur les ménages et les entreprises en absorbant une partie des soubresauts pétroliers – et en évitant au gouvernement de devoir rétrocéder, « à la main », une partie des taxes, en cas de choc majeur, comme en 2022.
Surtout, il est crucial de décarboner les transports au plus vite. Réduire les émissions de 30 % d’ici 2030, selon les objectifs de la planification écologique, permettra d’éviter l’importation de 100 milliards d’euros de pétrole et de carburants.