Pour Patrice Geoffron, les bénéfices de la taxe carbone doivent «ruisseler» jusqu’aux ménages les plus contraints.
La phase de « participation » du grand débat national est close. Rappelons que la taxe carbone fut à l’origine des turbulences sociales et que le dispositif reviendra à l’agenda. Et, comme le prix du pétrole a bondi de 30 % depuis la fin 2018, ce sujet restera non moins « inflammable » dans les temps prochains.
La France importe de l’ordre de 50 milliards d’euros d’hydrocarbures par an. Ce modèle énergétique explique, en bonne part, une pollution de l’air qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros (jusqu’à 100 milliards selon un rapport sénatorial d’avril 2018), sans même évoquer les externalités globales liées à l’effet de serre.
La conclusion de ce raisonnement (à gros traits) est claire : la taxe est un des outils pour recycler des coûts directs et indirects qui pèsent entre 3 et 5 % du PIB de la France. Il y a donc du « grain à moudre » pour sortir de l’opposition entre « fin du monde » et « fin du mois » : une taxe carbone doit contribuer à ancrer valeur ajoutée et emplois en France, à rendre les chocs de prix du baril indolores, ainsi que les risques en matière d’approvisionnement.
Bases fragiles
Pourquoi, au regard de tels gains, après avoir été censurée par le Conseil constitutionnel en 2009, la taxe carbone a-t-elle été censurée par la rue dix ans plus tard ? Tout d’abord, parce que son introduction en 2014 n’a pas fait l’objet d’une longue infusion préalable, à la différence des cas souvent cités de la Suède ou de la Colombie-Britannique. L’effondrement du prix du pétrole à la mi-2014 a rendu le dispositif indolore, donnant l’illusion d’une adhésion, cela jusqu’au retournement du début 2016 (de 25 dollars à plus de 80 dollars en octobre 2018 pour le brent).
Ensuite, parce que des spécificités géographiques ont été minorées : comme la densité de population est nettement plus faible que chez tous nos voisins (sauf l’Espagne), des « astreintes kilométriques » rendent les mouvements de prix à la pompe particulièrement sensibles. Enfin, malgré une douzaine d’années de débats (depuis le premier Grenelle en 2007), les bienfaits de la transition restent hypothétiques pour beaucoup : l’amélioration visible de l’efficacité thermique des logements aurait permis de « toucher du doigt » ces bienfaits, dans l’espace du foyer, mais cet immense chantier (objectif de 500.000 rénovations par an) peine à décoller depuis des années.
Posée sur des bases fragiles, la taxe française était néanmoins volontariste, comme le montre le bilan d’I4CE (Institute for Climate Economics) : en 2017, sur les 21 milliards de dollars de taxes carbone perçus au niveau mondial, un quart provenait de France. Au niveau mondial, près de 50 % des recettes ont été directement affectées à des investissements bas carbone, facilitant la compréhension de l’effort, à la différence du choix retenu en France.
Redistribuer les bénéfices
Comment réformer la taxe carbone en sortie de grand débat ? Les exemples de la Suède (1991) et de l’Irlande (2010) suggèrent qu’il est possible d’introduire une fiscalité carbone par temps de crise. Différents leviers sont identifiés à cette fin : redistribution des recettes en ciblant les ménages modestes et éloignés des métropoles, affectation aux investissements bas carbone, garantie de neutralité de la pression fiscale, lissage en fonction des fluctuations du baril, réduction des exemptions, etc.
Le maintien d’une taxe, profondément réformée, est essentiel pour « extraire » la valeur d’une tonne de carbone évitée pour notre collectivité : la commission Quinet (sous l’égide de France Stratégie) a établi en février cette valeur à 250 euros/tonne en 2030 (très au-dessus de la valeur cible de la taxe). Mais les bénéfices de l’effort doivent « ruisseler », ici et maintenant, jusqu’aux ménages les plus contraints.
Telle est la gageure : pour être résiliente, la taxe rénovée devra être « désirable », en distribuant équitablement les bénéfices. Et, surtout, elle doit trouver place dans un grand récit : celui de l’invention d’une société post-carbone, plus prospère, plus apaisée.