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« Bourse : les causes du décrochage américain »

Les marchés financiers vacillent. Lundi soir, Dow Jones et Nasdaq ont dévissé, et le mouvement semble n’être qu’à son début. Philippe Trainar explique pourquoi la conjoncture est devenue plus favorable à l’Europe qu’aux Etats-Unis 

Depuis le 19 février 2025, la bourse américaine chute chaque jour un peu plus (-6,5% au 7 mars par rapport au 19 février pour l’indice S&P 500). Elle a retrouvé le 7 mars 2025 son niveau du 5 novembre 2024, date de l’élection de Trump. Quant à la bourse européenne, elle stagne depuis le 19 février 2025 (cf. indice Eurostoxx 50) et se situe le 7 mars 2025 12% au-dessus de son niveau le 5 novembre 2024. Ajoutons que, depuis le 10 février, le dollar chute aussi (-4,9% au 7 mars) et a retrouvé le 7 mars son niveau du 5 novembre 2024. 

Naturellement, ces évolutions ne se sont pas faites de façon linéaire mais avec des hauts et des bas. La bourse américaine a bondi à la suite de l’élection de Trump, de 5% entre le 4 novembre 2024 et le 11 novembre 2024 puis a pris laborieusement 1,5% au cours des trois mois qui ont suivi, avant de chuter à partir de la mi-février. En revanche, la bourse européenne a chuté de 3% entre les 4 novembre 2024 et le 20 novembre 2024, avant de rebondir et de prendre 16,5% dans les trois mois qui ont suivi, effaçant les trois quarts du décrochage accumulé entre la mi-août et l’élection de Trump.

Comment interpréter ces évolutions ? Certains ont tendance à se focaliser un peu trop rapidement sur les seules évolutions depuis la mi-février 2025, pour y voir les conséquences de la prise de conscience tardive des conséquences potentiellement néfastes du programme de Trump, notamment de la hausse des droits de douane, ainsi que de son comportement illisible vis-à-vis des alliés des Etats-Unis, notamment vis-à-vis de l’Ukraine. Ce narratif ne manque pas d’arguments dans la mesure où il succède à une période où la bourse américaine semblait avoir acheté le narratif opposé d’un Trump très habile, menaçant ennemis et alliés avec des droits de douane inacceptables qui devaient les forcer à négocier et qui n’avaient donc pas vocation à être mis en œuvre. 

Les Etats-Unis en seraient sortis renforcés économiquement et géopolitiquement tandis que les alliés en seraient sortis affaiblis économiquement mais toujours protégés par les Etats-Unis. Une stratégie donc « win-win » pour les Etats-Unis et neutre pour l’Europe. Les grands patrons américains, bon gré, mal gré, avaient fait bloc derrière cette vision raisonnable de la Trumponomics. Les évolutions depuis la mi-février ne feraient donc que sanctionner le fait que cette vision n’a finalement rien de réaliste ni de raisonnable en raison des faiblesses intrinsèques du narratif, qui avaient été initialement négligées.

Ce narratif économique présente toutefois de nombreuses faiblesses. Tout d’abord, les évolutions qui ont précédé l’élection de Trump, depuis le retrait de Biden, montrent une corrélation négative entre les chances de gagner de Trump et la bourse américaine, et une corrélation positive entre ces chances et la bourse européenne, au moins jusqu’à la mi-octobre quand tous les indicateurs se mettent à donner Trump gagnant. Le narratif dominant à l’époque était alors tout sauf politique : les Etats-Unis sont portés par de formidables perspectives de croissance et d’innovation alors que l’Europe semble engluée dans la quasi-stagnation, sans véritablement perspective de redressement.

Si l’on reprend les termes de ce narratif et qu’on les applique à la période actuelle, l’on s’aperçoit qu’ils s’inversent. D’une part, les conseillers de Trump s’évertuent à nous décrire une Amérique en perte de dynamisme, avec pour seule touche salvatrice la personnalité du président. D’autre part, les données conjoncturelles se sont retournées et nous donnent maintenant l’image d’une Amérique où la croissance ralentit et l’inflation n’est toujours pas maîtrisée, avec des risques non négligeables de taux d’intérêt plus élevés plus longtemps, à l’opposé d’une Europe où les nouvelles s’améliorent. Naturellement, cette situation nouvelle met en perspective peu favorable le discours de Trump et fait ressortir combien celui-ci pourrait se situer en surplomb par rapport à la réalité américaine. Elle ne peut qu’inciter à s’interroger sur les faiblesses potentielles de la trumponomics.

Au cœur de la perte de dynamisme de la bourse américaine ainsi que du dollar et du regain de dynamisme de la bourse européenne, il faut donc voir la combinaison d’une conjoncture devenue plus favorable à l’Europe et moins favorable aux Etats-Unis ainsi que d’une prise de conscience, à lumière de cette conjoncture, du caractère utopique de la Trumponomics dont le succès est fondé sur un cocktail contradictoire de recettes de droits de douane, d’absence de tensions inflationnistes, de dépréciation du dollar, d’investissement volontaire des banques centrales étrangères dans les bons du Trésor et de renforcement de la puissance militaire américaine. Toutes ces dimensions, dont l’imbrication faisait la force de la trumponomics, font maintenant sa faiblesse à la lumière du dissolvant de la conjoncture économique.

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