La crise des banques régionales américaines, qui a vu plusieurs établissements mettre la clé sous la porte ou être rachetés en catastrophe, continue d’agiter les marchés. Jean-Paul Betbeze explique pourquoi le chemin est encore long vers un nécessaire renforcement de la régulation du secteur.
Comparée aux précédentes, notamment à celle de 2008, la crise actuelle des banques américaines est semblable et différente. Semblable : jamais une banque n’entre en crise sans avoir parlé de ses problèmes. Mais on ne veut pas les voir. On se demandera ensuite, à l’autopsie, comment on n’a pas compris plus tôt, corrigé en amont. Ce sera trop tard.
Crise bancaire différente aussi : chacune ajoute en effet son lot de raisons et d’innovations. Son lot de raisons, avec ces banques régionales qui cherchent une niche pour exister, face à la baisse des taux de la Fed qui mine leurs marges, et qui la trouvent dans la tech ou les cryptomonnaies. Son lot d’innovations aussi, avec Internet et les réseaux sociaux, boîtes de résonance aux rumeurs, qui déstabilisent comme jamais les dépôts. Comment vont alors répondre superviseurs et régulateurs ?
La faillite de SVB, un cas d’école
Ce qui est arrivé à la Silicon Valley Bank – 16e banque américaine par le total de bilan fin 2022 et morte le 10 mars 2023 – nous aide à comprendre ce qui s’est passé. La Fed, banque centrale américaine, vient d’en publier un terrible diagnostic. Elle y critique une trop forte croissance des crédits, notamment dans la tech.
La presse se fera aussi l’écho d’un bonus versé quelques mois plus tôt à son dirigeant et de la vente de ses actions. On saura qu’il a milité auprès du Président Trump pour un allègement des contrôles sur les banques de moins de 250 milliards de dollars de total de bilan, s’en tenant alors, lui, à 220. On découvrira que le responsable des risques de la banque avait démissionné depuis des mois, sans être remplacé. Mais la vraie nouveauté de cette crise est la vitesse des rumeurs, assistée par ordinateur : les réseaux sociaux vident les dépôts et la valeur du titre s’effondre, en un jour.
Quelle différence avec la plus grosse faillite bancaire antérieure ! C’était le 26 novembre 2008 : Washington Mutual, première caisse d’épargne du pays meurt, après 40 jours de fuite des dépôts, à un rythme d’un milliard de dollars par jour. Mais, le 9 mars 2023, 40 milliards de dollars quittent la SVB et 100 annoncent qu’ils le feront le 10. Irrésistible !
La peur d’un bankrun électronique
Puis Signature Bank meurt le 12 pour avoir touché aux cryptomonnaies, notamment aux stablecoins qui promettent de rapporter au moins autant que le dollar, tandis que la Fed augmente régulièrement ses taux. Impossible !
La peur d’un « bank run électronique » s’installe. Republic Bank, 210 milliards de dollars de bilan fin 2022, pourtant plus saine que ses collègues défuntes, suit la vague de défiance qui risque de l’emporter et nombre de banques régionales avec. Les autorités de contrôle (FDIC : Federal Deposit Insurance Corporation), après avoir émis l’idée folle d’assurer sans limite les dépôts américains, la vend à JP Morgan, la plus grosse banque du monde hors Chine. Le calme sera temporaire.
Car les marchés ne sont pas tranquillisés. La Fed augmente encore ses taux puis annonce une pause, inquiète de ces fuites des dépôts. Une crise bancaire amènerait un credit crunch, donc une forte récession qui toucherait les PME, sachant que, par ailleurs, la crainte du défaut américain fait monter les taux publics à 6 mois à 5%.
La crise n’est pas finie
Les banquiers demandent que ceci s’arrête, critiquant les vendeurs à découvert et craignant en fait plus de règles : il y en déjà beaucoup, disent-ils. Les Démocrates veulent plus de régulation, les Républicains oublient leurs responsabilités dans leurs coups de canif à la loi Dodd Frank. Les très grandes banques, plus grosses après la crise de 2008, commencent à faire peur. La baisse des taux est impossible, comme un retour du Quantitative easing et des soutiens budgétaires.
Une « solution » ? Que les crédits soient achetés par les géants du private equity, comme Blackstone ou KKR, vers qui fuient les dépôts. De plus gros conglomérats financiers, au milieu d’ordinateurs ? Moins de crédits plus chers, après assurance ? Des dépôts mieux payés, selon leur maturité ? Les liquidités sauront-t-elles s’en contenter ? Ce n’est pas fini.