Un Premier ministre est enfin nommé et la construction du budget 2025 va pouvoir prendre corps. Selon Christian de Boissieu, la note de la direction du Trésor, diffusée il y a quelques jours, crée un retour salutaire vers la réalité pour tout le monde. Car elle montre, qu’à politique inchangée, nos finances publiques ne sont pas soutenables et nous entraînent dans le mur, et pas seulement celui de la dette.
Le déficit public va déjà déraper en 2024 (5,6% du PIB) par rapport aux objectifs affichés et aux prévisions. Pire, dans le scénario au fil de l’eau, ce déficit devrait se gonfler pour atteindre 6,5% en 2027. Même constant déprimant du côté du ratio de dette publique déjà à plus de 110% du PIB et qui devrait grimper avec l’accumulation des déficits.
Dans ce contexte très compliqué, les bonnes nouvelles sont rares et d’autant plus précieuses. La confirmation du recul de l’inflation à 1,9% par an en août en fait partie, mais elle ne dissipe en rien les défis budgétaires. Alors, que faire ? Plusieurs axes, complémentaires, paraissent incontournables.
D’abord, ne pas compter sur la croissance pour régler nos problèmes budgétaires et financiers. En 2024, le PIB français va croître d’environ 1%. Certes, nous sommes au-dessus de la moyenne de la zone euro, aussi parce que l’Allemagne reste au bord de la récession. Mais les défaillances d’entreprises se multiplient, la consommation des ménages demeure frileuse comme l’investissement des entreprises, et l’activité ne permet pas de faire baisser à nouveau le chômage. De 2025 à 2027, la croissance pourrait légèrement s’accélérer en comparaison de 2024, mais à des rythmes autour de 1,5% par an, en plus ou en moins. Des taux de croissance et des taux d’emploi (en particulier des jeunes et des seniors) insuffisants pour aider à résorber, même partiellement, le déficit public via un surcroît de recettes fiscales.
En second lieu, l’ampleur des ajustements requis rend l’objectif de 3% de déficit public pour 2027 peu crédible. Plutôt que de se raconter des histoires, il faudrait mieux le reconnaître dès maintenant, et négocier avec la Commission européenne et nos partenaires un ajustement non pas sur trois mais sur sept années. Le nouveau pacte de stabilité le permet sous certaines conditions. Cette négociation est, à mes yeux, prioritaire car prétendre rentrer dans les clous en trois ans exigerait une politique de rigueur budgétaire excessive, pesant trop sur la croissance et l’emploi. La faiblesse actuelle de l’Allemagne, la persistance des crises géopolitiques, le fait que globalement parlant l’Europe se porte plutôt mal en comparaison des Etats-Unis et de la Chine, tout cela devrait justifier une certaine écoute des instances européennes, sans complaisance bien sûr…
Ensuite, il faut sortir du choix dépenses ou recettes. Pour consolider nos finances publiques, il va falloir mobiliser non seulement l’Etat et la sécurité sociale, mais aussi les collectivités territoriales. Il faudra marcher sur les deux jambes, en l’espèce combiner la réduction de certaines dépenses publiques et le relèvement de certains impôts.
Quelles dépenses ? La liste des dépenses publiques incontournables donne le vertige : les charges d’intérêt de la dette publique (46 milliards d’euros cette année mais probablement 72 milliards en 2027 malgré la décrue attendue des taux courts !), le coût budgétaire de la nécessaire transition énergétique et écologique, le gonflement requis des dépenses de défense et de sécurité, sans oublier les priorités que sont l’éducation, la santé et le logement. Comment faire ? Il est temps d’avancer sur la problématique de l’efficacité des dépenses publiques, toujours évoquée mais jamais vraiment traitée, pour alléger la liste des dépenses fiscales, réduire les dépenses d’intervention… L’heure n’est plus, sur ces sujets, aux commissions et aux rapports, foisonnants depuis trente ans. Elle appelle des initiatives concrètes, qui supposent la rencontre d’une volonté et d’une méthode. Elle requiert aussi de ne pas remettre en cause l’essentiel de la laborieuse réforme des retraites.
Quels impôts ? Là encore, il ne s’agit pas de choisir entre les entreprises et les ménages mais de répartir entre les deux catégories une part de la charge de l’ajustement fiscal requis. Taxer les rachats d’actions par les entreprises au-dessus d’un certain seuil, instaurer une contribution exceptionnelle sur les « très riches » (seuils compliqués à définir !), augmenter un peu le taux réduit de TVA sur certains produits, mettre à contribution les entreprises qui bénéficient de rentes sur certaines productions dues aux crises géopolitiques tout en tenant compte du fait que ces rentes sont cycliques donc réversibles…Une liste à la Prévert s’esquisse. Pour choisir, il va falloir hiérarchiser des critères d’efficacité économique et de justice sociale.
Enfin, il faut prendre conscience de la hiérarchie des contraintes. Vis-à-vis de Bruxelles, nous nous installons pour longtemps dans la procédure de déficit excessif. Est-ce grave, docteur ? Oui, parce que nos déficits publics et notre dette publique ne sont pas soutenables dans la durée, Commission européenne ou pas. Mais, en pratique, notre statut au regard des règles européennes est moins décisif que généralement perçu : depuis l’arrivée de l’euro, nombre de pays ont dérapé du côté du déficit et/ou de la dette, et aucun d’entre eux ne s’est vu appliquer les sanctions prévues par le pacte de stabilité. La nouvelle version du pacte n’y changera probablement rien, et cela pèsera sur sa crédibilité.
Comme la note du Trésor évoquée plus haut, je pense donc que la principale contrainte au-dessus de nos têtes viendra moins de Bruxelles que du jugement vigilant des marchés financiers, des investisseurs et des agences de notation.