En l’espace de 30 ans, la dette publique française a quasiment doublé, passant de 60 % du PIB en 1997 à 110 % en 2023, alors que la zone euro a limité sa hausse à 15 points en moyenne. Si elle veut garder la confiance de ses créanciers, la France doit rapidement retrouver la maîtrise de ses comptes publics. Pour François Ecalle, il faudra se résigner à augmenter les prélèvements obligatoires et s’interdire toute baisse des impôts.
Cet article est extrait du quatrième numéro de la revue Mermoz, « Aux impôts, citoyens ! ».
De 1997, année de référence pour apprécier les conditions d’entrée dans la zone euro, à 2023, la dette publique française a augmenté de presque 50 points en pourcentage du PIB, contre seulement 15 points en moyenne dans la zone euro. A politique inchangée, elle dépassera 120 % du PIB avant 2030..
La dette publique est soutenable si les créanciers de l’État restent confiants dans sa capacité à les rembourser et n’ajoutent pas une prime de risque insupportable aux intérêts qu’ils demandent. Les économistes considèrent généralement que cette soutenabilité est assurée si l’État montre qu’il peut stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB à moyen terme, ce qui implique de pouvoir la réduire après les crises pendant lesquelles il est nécessaire qu’elle augmente. Si on retient cette définition, la dette publique française n’est pas soutenable.
La prime de risque des obligations du Trésor français reste pourtant relativement faible, ce qui témoigne de la confiance des investisseurs. Beaucoup d’entre eux considèrent sans doute que la Banque centrale européenne interviendra toujours pour empêcher un défaut de paiement de la France, mais elle ne peut intervenir que si nous respectons les règles budgétaires européennes et si notre dette est soutenable.
Il faut donc au moins la stabiliser au niveau actuel, et plutôt la réduire pour respecter les règles européennes. Le solde primaire qui permet de stabiliser la dette dépend de l’écart entre son taux d’intérêt moyen et la croissance nominale du PIB. Les économistes ont des avis divergents sur le signe de cet écart dans les prochaines années. Si on suppose qu’il sera nul, il faut viser un solde primaire nul et l’effort de redressement des comptes publics est de l’ordre de 2,5 points de PIB.
Si on considère par ailleurs que les dépenses publiques annuelles nécessaires pour préserver notre environnement et relever notre budget militaire s’élèvent à environ 1,5 % du PIB, l’effort requis pour stabiliser la dette, par des hausses des prélèvements obligatoires ou des économies sur les autres dépenses primaires, est de l’ordre de 4,0 % du PIB, soit 120 milliards d’euros d’aujourd’hui. Étalé sur 6 à 8 ans, l’effort annuel est compris entre 15 et 20 milliards d’euros.
On peut trouver, sur le papier, des mesures d’économies dont le total est de 120 milliards d’euros. D’autres pays ont d’ailleurs fourni un effort de cette ampleur dans le passé et leur situation économique et sociale n’est pas plus mauvaise que la nôtre aujourd’hui. Dans le contexte politique et social actuel en France, un tel programme d’économies est toutefois peu crédible.
Il faudrait que la croissance des dépenses primaires soit quasiment nulle pendant 6 à 8 ans alors qu’elle n’a jamais été inférieure à 0,9 % en moyenne annuelle sur un quinquennat. Après un « quoi qu’il en coûte » certes nécessaires mais donnant aux Français l’impression que les dépenses publiques sont illimitées, un tel effort est très peu vraisemblable.
Il faudra donc très probablement se résigner à augmenter les prélèvements obligatoires, impôts ou cotisations sociales, mais les risques sont importants et les marges de hausse sont donc limitées.
En 2022, le taux des prélèvements obligatoires était en France de 48,0 % du PIB selon Eurostat, ce qui nous situait à la première place de l’Union européenne, dont la moyenne était de 41,2 %. Ce taux est en outre bien plus faible dans les pays non européens de l’OCDE. Sa décomposition par grandes catégories de prélèvements et les analyses plus précises des taux d’imposition par assiette ou type de contribuables montrent que nous sommes presque toujours parmi les premiers.
En 2022, le taux des prélèvements obligatoires en France était le deuxième le plus élevé des 50 dernières années, ce qui était anormal après des mesures de baisse qui ont représenté environ 50 milliards d’euros au cours des années 2017 à 2022. Une normalisation a eu lieu en 2023 et ce taux est revenu à 43,2 %. Les comparaisons internationales pour 2023 ne sont pas encore disponibles à la date de rédaction de cet article et il est probable que nous ayons perdu la première place mais aussi que nous soyons encore sur le podium ou à son pied.
Or nous ne pouvons pas avoir des taux de prélèvements nettement supérieurs à ceux des pays concurrents sans risquer de dégrader la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire.
Depuis plus de 20 ans, la balance de nos transactions courantes avec les autres pays est structurellement déficitaire. Augmenter les prélèvements sur les entreprises, quelle que soit leur taille, ne pourrait qu’aggraver ce déficit qui est tout aussi inquiétant que le déficit budgétaire.
Il existe sans doute quelques marges de hausse des impôts sur les revenus et les patrimoines des ménages les plus riches, mais ils sont en fait déjà souvent plus imposés que dans la plupart des autres pays. Selon l’OCDE, la France était ainsi en 2021 au deuxième rang pour la taxation des salaires des personnes gagnant 20 fois le salaire moyen et au quatrième rang pour la taxation des dividendes de ceux qui gagnent aussi 20 fois le salaire moyen. Si ces taux de taxation étaient majorés, ils pourraient être incités à réduire leur travail et à moins entreprendre ou à s’expatrier.
S’il faut se résigner à augmenter les prélèvements obligatoires, il faudrait commencer par réduire les dépenses fiscales plutôt que majorer les taux d’imposition de droit commun. Les impôts à taux faibles sur une assiette large sont en effet préférables aux impôts à taux élevés sur une assiette étroite. De plus, l’efficience de beaucoup de dépenses fiscales semble insuffisante.
Il faut enfin souligner que la France n’a plus les moyens budgétaires de réduire les prélèvements obligatoires. Il faut donc s’interdire toute nouvelle diminution des impôts ou des cotisations sociales.