La taxe foncière, impôt régressif en voie de disparition ? Pour Alain Trannoy, la mise en œuvre de la reforme, repoussé à 2028 est bien trop tard.
La taxe d’habitation a disparu. A quand le tour de la taxe foncière ? C’est à ces sombres ou joyeuses réflexions, suivant le point de vue, que peut mener en ce début d’année la lecture de la récente et instructive note de l’INSEE[1] qui pointe du doigt la régressivité de la taxe foncière.
Un impôt regressifs
Sans être entièrement nouveau, ce constat est étayé par le recours à une base administrative exhaustive portant sur les 17 millions de contribuables acquittant cet impôt. En rapportant le poids de l’impôt à la fortune immobilière, il est établi que le poids de la taxe foncière est divisé par trois quand on passe du premier décile de fortune immobilière des propriétaires au 10ème décile de fortune immobilière. Certes cette régressivité ne concernent que des « possédants », des propriétaires, mais elle reste quand même un tant soit peu étonnante car le patrimoine pris en compte tient compte des résidences secondaires, qui sont le bien de luxe par excellence, et de la possession de l’immobilier locatif. Il faut certes garder en mémoire que le premier décile de richesse immobilière laisse derrière lui encore quatre déciles de locataires. Mais, il n’empêche que le constat de cette régressivité sur le champ des contribuables est problématique pour un impôt direct, alors que la sensibilité des contribuables sur ce sujet est à vif, à la suite des amples augmentations de taux qui ont eu lieu ces dernières années dans nombre de grandes villes, Paris et Marseille en tête. A cela, s’ajoute un effet base. Les bases sont revalorisées chaque année pour suivre l’inflation. Au total, les bases de 2022 à 2024 auront subi une revalorisation de 15% induisant une augmentation a minima de l’impôt dans cette proportion sur la même période pour tous les contribuables, quel que soit leur localisation.
Ce résultat de régressivité, au-delà de fâcher les électeurs avec la taxe foncière, devrait inquiéter tous les édiles municipaux. La régressivité de la taxe d’habitation et l’absence de réforme des bases a finalement eu raison de cette dernière, et au moment de son procès en 2017, elle n’a trouvé que fort peu d’avocats pour la défendre. Un scénario identique se met en place pour la taxe foncière. Certes la nécessité de mettre à jour les bases a été compris par le législateur, tant celles-ci, datant des années 1970, se sont éloignées de la réalité du 21ème siècle où la valeur foncière se concentre dans les grandes agglomérations, et par contagion, dans leurs proches périphéries. Mais, la mise en œuvre de la réforme pour les contribuables a été repoussée après la prochaine échéance présidentielle, en 2028, autant dire, une éternité en politique.
Sentiment d’injustice fiscal
A ce jour, rien n’assure que cette mise à jour des bases sera de nature à corriger d’une manière ample la régressivité constatée dans la note de l’Insee[1]. Le Parlement devrait se saisir de cette question et exiger une étude d’impact de ce côté-là. Faute de quoi, le constat va s’installer dans le pays que la seule taxe portant en grande partie sur une rente, la rente liée à la possession du sol, et à ce titre fondamentalement juste et efficace, restera dégressive. Cette perception accentuera le sentiment d’injustice fiscale dans un pays où les classes moyennes ont le sentiment d’être fortement taxées. Un parti populiste pourrait se saisir de ce sentiment et proposer d’emblée à la prochaine élection présidentielle de la supprimer, tant manier la hache est toujours plus facile que réformer.