La fiscalité est souvent perçue comme le socle d’une société solidaire, mais elle divise. Entre ceux qui y voient un levier de justice sociale et ceux qui dénoncent un fardeau excessif, le débat fait rage, surtout en France, où les prélèvements sont parmi les plus élevés des pays développés. Alors que se profilent d’immenses défis — transition écologique, innovation technologique et gestion de la dette —, la question se pose : comment repenser l’impôt pour concilier efficacité, équité et croissance durable ?
On a l’habitude de dire que l’impôt fait société. Certains vont beaucoup plus loin et de manière très exagérée, Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor sous la présidence de Roosevelt, disait « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais ». On imagine bien que cette formulation peut entraîner à n’importe quelle dérive y compris celle qui a conduit les Etats-Unis à une tranche marginale sur l’impôt à 90%. Ne parlons pas de cette concurrence effrénée sur la baisse de l’impôt sur les sociétés avec un champion toute catégorie, l’Irlande qui construit sa croissance sur le dos des autres pays européens. Mais si l’on s’accroche à l’idée d’Ernest Renan, qu’à côté de la langue, de l’envie de vivre ensemble, l’impôt structure le contrat qui lie les citoyens d’une même nation entre eux, il convient alors de s’interroger sur ce que cela signifie pour la France.
C’est assez clair, une récrimination permanente qui peut évidemment aller jusqu’à une révolte comme cela fut le cas à plusieurs reprises dans notre Histoire et un contrat social qui est censé garantir à chacun une protection contre les accidents de la vie, et enfin, l’idée déterminante, celle que la société est guidée par la certitude du progrès.
Peut-on débattre de tout cela en France ? Bien sûr que non. Tout d’abord, on ne fait que rappeler inlassablement que nous avons le taux de prélèvement parmi les plus élevés de tous les pays développés. Ceci est vrai, mais on n’oublie seulement que plus de la moitié de celui-ci correspondent à transferts notamment intergénérationnels avec nos fameux 14% dédiés à nos retraites. Et pourtant, rien n’est définitivement perdu. Nous organisons aujourd’hui même, un débat entre six personnalités qui représentent l’échiquier politique français complet, extrêmes compris et dont le thème des débats portera sur les évolutions fiscales prévisibles pour les semaines à venir. Est-ce utile, alors que notre tradition politique conduit les uns et les autres à privilégier des positions définitives ? Pour les uns, les impôts, c’est le diable et pour les autres, le salut, alors qu’évidemment, la question est de savoir jusqu’où et par qui. Mais surtout, aujourd’hui, s’est introduit une nouvelle donnée qui apparaît comme la contrainte ultime, la dette publique. Il nous faut, tout le monde l’admet, a minima la contenir et si possible, la réduire. Depuis toujours, la droite préfère la dette, si elle est mesurée, la gauche, les impôts, s’ils sont progressifs. La raison en est simple, face à des déficits publics qui ne datent pas d’aujourd’hui, les impôts jouent un rôle supplémentaire, celui d’assurer, pense-t-on un rééquilibrage des revenus, une lutte contre les inégalités.
Aujourd’hui, les choses sont plus brouillées. Chacun s’émeut de la dette, et la divergence porte plus sur l’efficacité des prélèvements, si l’on va au-delà des postures, et cela, dans une perspective de croissance. Certes, vient se rajouter un constat, lui aussi partagé, que les services publics fournis aux français, contrepartie de leur efforts financiers, ne sont pas à la hauteur de ce qu’ils furent ou de ce qu’ils devraient être. Si l’on veut faire avancer le débat aujourd’hui et cela n’est pas impossible, au-delà de l’absolue nécessité de rééquilibrer nos comptes, contrainte admise par tous, celui-ci se situe sur les termes d’efficacité et d’équité. Bien entendu, il n’y aura pas convergences des positions, mais l’on peut se mettre d’accord sur le fait que la transparence donc la simplicité doit s’imposer et surtout que tout doit conduire à permettre d’extirper ce mal absolu, la pauvreté à tous les âges et favoriser la croissance. Ce qui nécessite de l’investissement, donc de canaliser une partie de notre épargne, car Un immense défi nous attend, car nous devrons financer trois transitions majeures : climatique, technologique et démographique. Chacune d’entre elle représente de l’ordre de 50 milliards annuels de financement supplémentaire à partir de 2030, c’est-à-dire demain. C’est dire si le débat sur la fiscalité se doit d’être d’une rigueur, d’une créativité et d’un pragmatisme absolu.