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Le capital doit-il être plus taxé que le travail ?

La fiscalité du capital en France est au cœur d’une vive controverse, révélatrice de la tension inhérente aux impôts entre justice fiscale et efficacité économique. Trop imposer le capital freine-t-il les investissements, la compétitivité des entreprises et, à terme, la croissance ? A l’inverse, la forte hausse des inégalités appelle-t-elle une plus forte taxation du capital ? Nous avons posé la question à Jean-Marc Daniel, économiste, et Layla Abdelké Yakoub, d’Oxfam France.

« Concernant la fiscalité du capital, repartons des missions de l’Etat identifiées par Richard Musgrave »

Par Jean Marc Daniel

Poser la question de l’arbitrage entre le capital et le travail comme base taxable suppose d’abord de se demander si on s’appuie sur le stock ou le flux.

Concernant le travail, le stock peut être considéré comme étant la population active. On voit bien qu’une taxation de la population active en tant que telle, qui prendrait la forme d’un retour aux impôts de capitation des temps anciens n’est guère envisageable. Et donc, la fiscalité sur le travail porte et peut porter en pratique sur le flux, qui est assimilable à la masse salariale. Dans bien des cas son impact est plutôt étudié au travers du prélèvement social.

D’après les comptes de la Nation, en 2023, la sécurité sociale a été financée à hauteur de 462 Mds € par des cotisations sociales et de 166 Mds € par des impôts. Les prestations maladie et vieillesse, que le nom même d’assurance éloigne théoriquement de la notion de solidarité pour rejoindre celle de salaire différé, sont de moins en moins couvertes par les cotisations (337 Mds € de cotisations pour 520 Mds € de prestations). Cela pose un problème institutionnel (abandon programmé de la logique mutualiste des débuts) et de lisibilité de la politique de transfert si bien qu’aller plus loin paraît problématique. Il serait temps de dissocier financement de la sécurité sociale et amélioration du pouvoir d’achat des plus défavorisés. On peut rétablir les cotisations sociales dans la plénitude de leur mission pourvu que l’on s’engage dans une politique de mise en place d’un impôt négatif comme moyen de lutte contre la pauvreté tel que l’a proposé notamment Milton Friedman.

Concernant les contributions assises sur le capital, celles-ci peuvent toucher soit son stock soit le revenu induit.

Le projet d’une imposition accrue du stock revient régulièrement dans le débat. Dans les années 1970, le président Giscard d’Estaing avait demandé à 3 experts (Jacques Méraud, Gabriel Ventejol et Robert Blot) un rapport sur ce sujet. Leur conclusion était limpide :

« La création d’une taxe annuelle sur la fortune aurait des inconvénients économiques très sérieux : dans la mesure où elle provoquerait une réorientation des placements, il y aurait plus de probabilité pour que celle-ci se fasse en faveur de placements non productifs ou à l’étranger plutôt que dans un sens profitable à l’économie nationale ; le risque existerait d’autre part que les coûts de production des entreprises industrielles, artisanales et commerciales, le développement du marché financier, soient affectés par les contrecoups financiers et psychologiques d’un tel impôt ».

Concernant la fiscalité sur les revenus du capital, repartons des missions de l’Etat identifiées par Richard Musgrave, à savoir la fonction d’allocation (i.e. la gestion des externalités), la fonction de redistribution(i.e. la réduction des inégalités) et la fonction de stabilisation (i.e. la politique contracyclique). 

Dès lors, il faut consacrer la fiscalité des entreprises à la troisième fonction au travers d’impôts en stabilisateurs automatiques ; autrement dit, des impôts qui baissent quand les entreprises sont en difficulté et augmentent en période de surchauffe. En France, cela supposerait de ramener la fiscalité des entreprises à un impôt sur les bénéfices à taux uniforme, taux qui pourrait être de 15 % ou de 12,5 % comme dans certains pays européens. 

Pour nous résumer, nous proposons un retour du financement des composantes assurantielles de la sécurité sociale par des cotisations assises sur les salaires, la mise en place d’un impôt négatif « friedmanien » et une fiscalité des entreprises en stabilisateurs automatiques.

« Il est urgent de mettre en place des mécanismes ambitieux de taxation du capital et de ses revenus »

Par Layla Abdelké Yakoub

Les inégalités continuent de se creuser en France, où plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté tandis que la fortune des 500 plus riches Français bat des records, avec un total dépassant pour la première fois les 1 200 milliards d’euros. Dans notre rapport annuel sur les inégalités sorti en janvier dernier, nous avions déjà souligné que les 4 Français les plus riches et leurs familles ont vu à eux seuls leur fortune augmenter de 87 % entre 2020 et 2023, alors que dans le même temps la richesse cumulée de 90 % des Français avait baissé. Ce creusement des inégalités dans notre pays doit absolument être interrogé au regard de la fiscalité et des outils que nous nous donnons – ou pas – collectivement pour lutter contre elles et assurer une juste redistribution des richesses. Or, face à la concentration extrême de richesses en France, force est de constater qu’il y a plus d’un grain de sable dans l’engrenage de notre système fiscal, qui ne lui permettent pas aujourd’hui de jouer pleinement son rôle redistributif.

  • -7

    « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », Institut des Politiques Publiques, juin 2023

La taxation du capital défaillante en France est une source majeure de cet échec. Si une contribution supplémentaire des plus hauts revenus (comme celle qui devrait voir le jour dans le budget pour 2025) est certes bienvenue, il est aujourd’hui indispensable d’en passer par une meilleure taxation du capital et de ses revenus pour permettre une contribution des ultra-riches qui soit réellement à hauteur de leurs moyens. C’est ce que montrait en 2023 l’Institut des Politiques Publiques dans sa note portant sur les impôts payés par les milliardaires en France1: au sommet de la distribution, le taux d’imposition des plus riches des plus riches devient régressif proportionnellement à leurs revenus économiques globaux, car les revenus imposables par l’impôt sur le revenu y sont minoritaires.

Ce problème de sous-taxation du capital, et particulièrement du capital financier, s’est accru depuis 2017 au fil des réformes fiscales menées sous la présidence d’Emmanuel Macron. La mise en place du prélèvement forfaitaire unique (ou flat tax) et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (au profit du modeste IFI – impôt sur la fortune immobilière) en sont les deux pierres angulaires, dont 79 % du gain total de niveau de vie induit a bénéficié uniquement aux 10 % les plus riches. La flat tax a ainsi marqué la fin de l’imposition des revenus du capital au même barème que les revenus du travail, jouant peu ou prou le rôle d’un plafond profitant de fait aux plus riches détenteurs d’actions, au prix de la modeste perte d’1,5 milliard d’euros pour nos finances publiques.

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    « Super-héritages : le jackpot fiscal des ultra-riches », Oxfam France, septembre 2024

Même phénomène pour la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui a engendré selon la commission des Finances du Sénat un gain moyen annuel de plus de 100 000 € pour les 1300 foyers les plus aisés de France, et même de plus d’un million pour les 100 premiers. Le tout aux dépens là encore de nos finances publiques, qui y perdraient plus de 3 milliards par an, sans résultat significatif en terme d’investissement productif. Sans parler des autres faiblesses de notre système fiscal en matière de taxation du capital, comme c’est le cas de celle des successions et notamment des super-héritages à laquelle Oxfam France a consacré un récent rapport2.

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    « Manifeste fiscal juste, vert et féministe », Oxfam France, décembre 2021 (mis à jour en septembre 2024)

Résultat, à force d’être de moins en moins taxé, le capital est même moins taxé que le travail en France. Cette situation nourrit les inégalités et un véritable sentiment d’injustice dans la population, qui est d’autant plus compréhensible quand on sait qu’aujourd’hui la majeure partie (60 %) du patrimoine français est héritée, alors qu’elle n’était que 35 % à l’être dans les années 1970. Il est donc urgent de mettre en place des mécanismes ambitieux de taxation du capital et de ses revenus pour réaligner ce déséquilibre et rétablir une justice fiscale digne de ce nom dans notre pays. Pour cela, de nombreuses solutions existent, entre le retour d’un impôt sur la fortune amélioré, la suppression des niches fiscales néfastes et de la flat tax, ou encore plus d’une dizaines d’autres mesures détaillées par Oxfam France dans son manifeste fiscal3. Pour un total de plus de 101 milliards d’euros de recettes en un an, de quoi largement éviter les projets de coupe dans les dépenses publiques et mieux financer les services publics, premiers remparts contre les inégalités.

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