eux jours avant le sommet européen des 17 et 18 juillet dédié au plan de relance, la Banque centrale européenne a exhorté les dirigeants à se mettre rapidement d’accord face à l’impact économique de la pandémie de Covid-19. La BCE a maintenu son programme anti-crise et ses taux d’intérêt au plus bas. Christian de Boissieu explique pourquoi la politique monétaire utilisée ne lève pas toutes les incertitudes.
Face à cette crise exceptionnelle, la politique de la BCE a été résolument contracyclique. Cette politique s’est adossée à un programme d’urgence, décidé en mars 2020 (PEPP pour « Pandemic Emergency Purchase Programme »).
L’instrument principal du QE de la BCE reste le « Public Sector Purchase Programme » (PSPP) mis en œuvre à compter de mars 2015. Les achats massifs d’obligations, interrompus pendant quelques mois, avaient repris avant la Covid-19. Face à la crise sanitaire et économique, ils ont été intensifiés dès février-mars 2020. La BCE s’était engagée à fournir pour plus de 1.000 milliards d’euros de liquidités additionnelles. Dès juin 2020, elle a décidé une rallonge de 600 milliards et étendu l’horizon de ce programme au moins jusqu’en juin 2021.Voilà de quoi rassurer !
La Banque centrale réactive également le dispositif qui lui permet de refinancer à des taux d’intérêt concessionnels des crédits bancaires ciblés directement sur l’économie réelle. Elle maintient son principal taux directeur à 0% ainsi que le taux sur les facilités de dépôts à -0,5%. La BCE sous Christine Lagarde prolonge sans état d’âme le « whatever it takes » de Mario Draghi.
La politique de la BCE a été contestée par un arrêt, le 5 mai 2020, de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cette affaire aurait pu fragiliser la BCE, au plus mauvais moment. Heureusement, elle a été soutenue par Angela Merkel et le Bundestag.
Depuis novembre 2014, avec l’union bancaire, la BCE s’occupe aussi de stabilité financière, supervisant les grandes banques de la zone euro. Sur ce terrain-là également, la BCE réalise jusqu’à présent un sans-faute. Elle devra redoubler de vigilance, car la crise va fragiliser un certain nombre de banques.
J’évoque deux limites à l’efficacité de la politique monétaire.
D’abord, l’inflation moyenne dans la zone euro est actuellement autour de 0%, soit en dessous de la cible de la BCE proche de 2%. Cela tient à des facteurs structurels comme la mondialisation. Cela découle aussi d’éléments plus circonstanciels : pas de risque d’inflation pétrolière à court terme ; avec le niveau du chômage, faible probabilité d’inflation salariale.
L’autre incertitude concerne la transmission des impulsions monétaires vers ce qui est essentiel, l’économie réelle (investissement, croissance, emploi…). Il n’y a là rien de mécanique : tout dépend du comportement et des anticipations des banques et des agents non financiers (entreprises et ménages). Nos pays sont assez proches de la configuration keynésienne de la trappe à liquidité, situation dans laquelle les liquidités additionnelles de la Banque centrale sont thésaurisées par les agents non financiers.
Christine Lagarde a aussi lancé une revue stratégique de la politique de la BCE. Cette revue doit s’interroger sur le mandat de la BCE – faut-il l’élargir vers l’économie réelle, sur le modèle de la Fed ? – et sur la cible d’inflation. Les réponses apportées pourraient modifier la problématique monétaire en zone euro.
L’explosion des dettes publiques, facture inévitable de la Covid-19, va poser la question de la dépendance de la BCE vis-à-vis des politiques budgétaires dans la zone. Car une partie significative de ces dettes va être monétisée auprès de la BCE. Monétisation ne veut pas dire annulation.
L’annulation totale créerait un problème d’aléa moral, elle mettrait la BCE en grande difficulté financière, elle priverait les Etats des dividendes versés par la Banque centrale, elle priverait aussi la BCE de titres à revendre le jour où l’inflation, de trop basse, deviendrait trop rapide.