Jeudi 9 novembre, le président de la FED, Jerome Powell, a averti : « Nous n’hésiterons pas » à relever encore les taux directeurs « si nécessaire » face à la forte inflation aux États-Unis. Sous la pression des taux, les places financières ont tendance à refluer. Jean-Paul Betbèze explique en quoi la dette publique représente, à terme, une menace pour le marché.
Pas pour le moment, et pourtant ! 2 430 milliards d’euros le 30 septembre 2023 : c’est la dette négociable de l’État, une dette à plus de huit ans et qui ne cesse d’augmenter, mais sans drame ni tension, encore. Début novembre, elle croît de plus de 13 milliards pour différentes maturités, allant de 6,3 milliards pour la dette à dix ans à 1,5 milliard pour celle à cinquante ans. L’adjudication s’est, comme on dit, « bien passée » : le « volume demandé » de dette par les institutions financières était le double de celui qui a été émis. « Bien passée », car l’adjudication a trouvé ces milliards à 3,3% pour l’emprunt à 10 ans, sachant que l’inflation atteint 4%.
« Bien passée », mais ce n’est pas fini : fin août 2023, la situation mensuelle du budget fait état de 200 milliards de recettes, face à 350 milliards de dépenses. Soit un déficit de 150 milliards, contre 120 à la même date l’an dernier. Le budget 2024 prévoit 140 milliards de déficit au total, plus 160 à rembourser sur les dettes accumulées arrivant à échéance. Il faudra donc trouver 300 milliards.
Ensemble dans la dette
Pas de menace pour le moment pour les grandes économies comme la France, car la crise de la dette publique s’y annonce toujours lentement, avec moins d’acheteurs et plus de vendeurs. Les agences de rating préviennent : S&P est à AA, Moody’s Aa2 et Fitch à AA-, sans oublier l’inquiétude qui montait à l’approche de la publication du diagnostic de S&P. Maintenu, les politiques ont soufflé, mais le rendement de la dette monte. Il faudra la payer plus cher.
Pire, le vrai problème de la dette publique française est de ne pas être seule.
On regarde ailleurs. Vers les États-Unis où le déficit budgétaire ne cesse de se creuser, en plein milieu d’une crise politique où l’élection présidentielle, dans un an, semble essentielle, autour de Donald Trump. Il s’agit pourtant de 33 000 milliards de dollars. En zone euro, l’Italie inquiète de nouveau, avec une dette proche de 145% du PIB, la France s’approchant, à 112%. Le Japon va bientôt monter sur le podium des inquiétudes de dette publique. Elle atteint 2,6 fois le PIB, artificiellement « calmée » pendant des années par une politique monétaire où les taux longs étaient limités à 0%. C’est fini : les taux longs atteignent en un an près de 1%. La charge de la dette ira vers 2% du PIB, ce qui explique la plongée du yen de 15% depuis janvier.
Vigilance orange
Pour autant, les grands pays endettés, comme la France, n’entrent pas dans la spirale de la dette, où la croissance serait inférieure au taux d’intérêt réel. L’explication de cette situation réside dans la crédibilité de l’Union européenne et dans l’idée que l’Allemagne offre une garantie implicite de la solidité du tout, même si le contraire est constamment rappelé… par elle. Il n’empêche que la BCE, avec Mario Draghi, a massivement soutenu l’Irlande, la Grèce, le Portugal et l’Espagne, empêchant la crise des dettes souveraines d’attaquer l’Italie. Le « whatever it takes » a retourné les anticipations, grâce au talent de Mario Draghi et aussi à l’appui d’Angela Merkel. Il n’empêche aussi que l’endettement collectif de l’Union après le Covid (Next Generation EU) a bien soutenu les pays membres, et leurs budgets, mais cela ne suffit toujours pas. Nous ne sommes pas revenus à des situations soutenables, en Italie notamment.
En fait, les tensions sur la dette publique française n’ont pas disparu, même si son taux réel est encore négatif. La BCE entend le rendre positif et le répète avec son « 2% à moyen terme », mais on ne fait pas le lien. Et il ne faut pas oublier les crises avérées au Liban, en Tunisie, en Égypte ou ailleurs : rien n’est jamais loin en finance. La dette publique française est une menace pour le marché, et pour nous, si nous ne parlons pas productivité, innovation ou efficacité de la dépense publique pour soutenir la croissance et l’emploi dans cette crise écologique et climatique, avec les besoins supplémentaires qu’elle implique. Vigilance orange.