A quoi joue la Fed ? Les récentes passes d’armes entre Donald Trump et le président de la banque centrale américaine, Jerome Powell, interpellent observateurs et économistes. Dans un contexte conjoncturel tendu, Jean-Paul Betbeze détaille les faits et explique pourquoi l’interconnexion entre la Fed et la Bourse semble de plus en plus évidente.
Plutôt oui : la Bourse a «vu» que l’économie ralentissait, alors que la Fed pensait et disait qu’elle était «solide» et qu’il fallait donc monter les taux : deux ou trois fois en 2019, une ou deux en 2020, une dernière en 2021. Donald Trump criait alors contre elle et surtout contre Jerome Powell, son patron. Soit Donald Trump « sentait » qu’effectivement l’économie ralentissait, soit il se disait, « en homme de marché », que la bourse avait raison. En tout cas, Jerome Powell a pris peur du risque de récession s’il continuait sa stratégie : monter les taux pour pouvoir les baisser, quand viendrait la récession.
Entre Fed qui montait ses taux et voulait continuer, bourse qui avait peur de la récession et trouvait folle cette politique, et Donald Trump, le marché actions américain a vécu un terrible décembre 2018. Le Dow Jones passe de 26000 début décembre à 21700 à Noël, ce qui a d’ailleurs fait perdre des millions à de grandes banques françaises qui n’avaient pas vu le choc venir. Maintenant, Jerome Powell est méconnaissable. Oubliées les hausses de taux : il dit collecter le maximum de données pour être « data-dependent ». Oubliée la « forward guidance », ce temps où il guidait les marchés et augmentait les taux, pour préparer un « atterrissage » en douceur. C’était il y a deux mois ! Maintenant, il se compare à quelqu’un qui marche dans une pièce sans lumière et encombrée d’objets !
La bourse a compris qu’il a pris peur, peut-être parce qu’il ne comprend pas bien cette économie en plein emploi et sans inflation. Elle est en plein emploi d’informaticiens seulement un peu mieux payés, au milieu d’une mer d’emplois de services qui sont sous la double pression de la concurrence et d’Internet. En fait, la faiblesse des hausses des salaires et des prix montre que cette croissance n’est pas « solide ».
Pas le choix…
Les marchés non plus ne comprennent pas bien. Les taux courts sont à 2,25%, les taux longs à 2,7%. Une pente de 45 points de base : une courbe des taux plate, mais surtout très basse ! Ce même 45 points de base était, en 2007, perçu comme l’annonce d’un retournement, mais alors les taux courts étaient à 5% ! Il y avait de quoi les baisser, pensait-on. Mais non : même ramenés à 0%, il a fallu que la Fed achète des bons du trésor pour faire baisser les taux longs !
Les marchés ne veulent donc pas que la Fed remonte ses taux, et garde même plus longtemps que prévu son portefeuille d’obligations d’Etat. Elle doit compresser les taux pour soutenir le crédit à l’immobilier et aux entreprises, donc aussi les cours boursiers ! En fait, les marchés financiers veulent que cette reprise en rase motte dure encore, dans ce marché mondial secoué par tant de tensions politiques et militaires, et au premier rang par les actions de Donald Trump.
Donc, les marchés demandent à Trump d’arrêter la stratégie de montée des taux de Powell, parce qu’ils sont inquiets, pour la croissance américaine, de la stratégie de Trump ! Si la Chine ralentit, avec la baisse de ses exportations, et si l’Allemagne entre en récession, ne pouvant exporter autant d’automobiles, les États-Unis, même s’ils sont moins ouverts aux échanges que ces deux ensembles, vont encore ralentir !
Alors la Fed baissera ses taux, puis le Congrès augmentera le plafond de la dette. Ce qui permettra encore aux États-Unis de s’endetter sans hausse des taux longs, pour autant que les fonds américains de pension et de retraite poursuivent leurs achats. La Fed aux ordres du Dow Jones ? Pas le choix.