Indépendamment des questions liées à l’élection présidentielle américaine de novembre prochain, le déficit budgétaire des Etats-Unis suscite quelques interrogations. 16% du PIB cette année. André Cartapanis explique pourquoi ce déficit important devrait être financé sans difficulté.
Le dollar a perdu 9% de sa valeur vis-à-vis de l’euro depuis mai dernier. Et pour Stephen Roach, l’ancien chairman de Morgan Stanley, une nouvelle chute du billet vert de près de 35% est à prévoir pour 2021. A cause des difficultés que pourraient rencontrer les Etats-Unis dans le financement de leur déficit de balance des paiements et, surtout, de leur déficit budgétaire, devenu abyssal, si les investisseurs internationaux, asiatiques ou européens, jugeaient plus attractifs les placements en euros ou en d’autres devises. Est-ce à dire que la dette publique américaine deviendrait alors insoutenable, provoquant, au-delà de la forte baisse du dollar, un rebond à la hausse des taux d’intérêt à long terme malgré la récession ?
Il est vrai que la pandémie, la chute de l’activité et la politique budgétaire contracyclique américaine ont conduit à un déficit vertigineux (3.300 milliards de dollars, soit 16% du PIB cette année) et à des niveaux d’endettement public hors-normes : 98% du PIB en 2020, et selon les prévisions du Trésor américain, 104% en 2021, autour de 110 % à l’horizon 2030.
Mais si intervenait une réduction massive des achats de bons du Trésor US de la part des investisseurs internationaux, par exemple de la part de la Chine à titre de rétorsion dans la guerre commerciale avec les Etats-Unis, il est peu probable que la soutenabilité financière de la dette américaine serait compromise. Car, contrairement à pas mal d’idées reçues, la détention par les non-résidents, ou les Etats étrangers, de ces obligations d’Etat, ne représente qu’une part, non pas marginale, mais minimale des engagements du Trésor américain.
En juin 2020, la dette publique des Etats-Unis était de 26.500 milliards de dollars. 5.900 milliards relevaient d’une dette qualifiée d’intra-gouvernementale par le Trésor américain (placements de trésorerie des caisses de retraite publiques ou des systèmes d’assurance santé à l’échelle fédérale, avec notamment le Social Security Trust Fund) et 20.600 milliards correspondaient à de la dette détenue par le public. Parmi ces investisseurs, les avoirs étrangers s’élevaient à 6.700 milliards de dollars, soit seulement 25% du total, à côté des investisseurs américains (banques, Mutual Funds, Fonds de pension, Fed…).
Quels sont les pays concernés ? En premier lieu, le Japon (1.260 milliards), la Chine (1.080 milliards), le Royaume-Uni (445 milliards), l’Irlande (330 milliards) et certains paradis fiscaux comme les îles Caïman ou le Luxembourg, auxquels s’ajoutent les monarchies pétrolières du Moyen-Orient (autour de 200 milliards de dollars pour chacun d’eux).
A la fois pour des raisons géopolitiques évidentes et à cause des pertes de change qu’occasionnerait un mouvement de réallocation par devises des acquisitions d’actifs dits sans risques, c’est-à-dire en Bons du Trésor, à cause de la chute induite du dollar, il est douteux que la grande majorité de ces pays ou de ces investisseurs s’y engagent. Tout au plus, en situation de défiance marquée vis-à-vis des Etats-Unis, on pourrait assister à une diminution de l’ordre de 10% des achats de titres américains par des non-résidents, dont on a vu qu’ils ne pesaient que pour 25% du total. Soit encore, sur la base du déficit budgétaire annuel de 3.300 milliards de dollars en 2020, à hauteur de 80 milliards de dollars seulement. Or, la Fed, qui détient déjà 2.300 milliards de dollars en Bons du Trésor US et en acquiert près de 500 milliards par mois, pourrait alors très facilement se substituer aux investisseurs étrangers pour boucler le financement des déficits budgétaires américains. Voilà pourquoi le déficit budgétaire abyssal des Etats-Unis a toutes les chances de continuer à être financé.