Outre l’inflation, d’autres éléments de l’actualité économique et financière mettent à rude épreuve les banques centrales. Il en va notamment des actuels soubresauts du secteur bancaire de part et d’autre de l’Atlantique. Philippe Trainar explique en quoi la déroute de SVB et les profonds déboires de Crédit Suisse, par exemple, peuvent avoir des conséquences sur les politiques monétaires.
Le moins que l’on puisse dire est que les banques centrales, notamment la Federal Reserve américaine et la BCE Européenne, sont aujourd’hui soumises à un terrible dilemme. Si elles continuent à augmenter les taux d’intérêt de leurs interventions monétaires, elles risquent de précipiter une crise financière systémique dont la faillite de Silicon Valley Bank et de Signature Bank, et l’absorption de Credit Suisse par UBS n’auront été que les prémisses. En effet, la hausse des taux d’intérêt, si elle améliore, à la marge, les revenus des banques, déprécie surtout l’ensemble des actifs bancaires, rendant par là-même plus difficile pour les banques de rémunérer leurs déposants ou de les retenir.
L’impossible statu quo
Si les banques centrales font le choix opposé de baisser les taux d’intérêt de leurs interventions monétaires, elles risquent de relancer les pressions inflationnistes qu’elles ont du mal à contenir, et d’inciter les banques à négliger encore plus que par le passé le risque de hausse des taux, alors même que la relance des pressions inflationnistes rendra inévitable des hausses encore plus importantes des taux d’intérêt à l’avenir. Quant au choix du statu quo, il s’apparenterait plutôt à une politique de l’autruche qui refuse de voir le dilemme auquel on est confronté.
Que faire dans ces conditions ? Regardons tout d’abord les raisons qui pourraient faire pencher la balance en faveur d’une baisse des taux d’intérêt des interventions monétaires. Elles sont au nombre de trois. Premièrement, l’activité (production, emploi et chômage) semble marquer le pas depuis quelques semaines aux Etats-Unis et en Europe. Deuxièmement, l’inflation courante recule dans la plupart des économies avancées et les salaires y subissent des pertes de pouvoir d’achat. Troisièmement, l’embryon de crise bancaire que nous avons connu ces dernières semaines, depuis la panique bancaire qui a frappé Silicon Valley Bank, peut faire craindre une crise de liquidité.
Une activité plus résiliente que prévu
Un examen toutefois plus approfondi fait pencher la balance dans l’autre sens, en faveur d’une hausse des taux d’intervention des banques centrales. Cela pour trois raisons principales. Premièrement, l’activité, même si elle paraît déprimée, se révèle bien plus résiliente que prévu et le climat des affaires continue à s’améliorer. Deuxièmement, l’inflation courante diminue à un rythme de plus en plus lent tandis que l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire l’inflation hors prix de l’énergie et de l’alimentation, stagne au Etats-Unis et continue à augmenter en Europe, à un niveau près de trois fois supérieur à l’objectif d’inflation de 2% des banques centrales, et que l’indexation des salaires, même si elle n’est pas totale, intègre des anticipations d’inflation largement supérieures à 2%.
Enfin, pour endiguer le risque de la crise bancaire, l’important est moins de réduire les taux courts que de modérer la hausse des taux longs, qui est à l’origine des difficultés rencontrées par les banques régionales américaines comme SVB. Pour cela, l’instrument le plus efficace n’est pas le taux d’intervention monétaire mais le Quantitative Easing (assouplissement monétaire quantitatif).
Augmenter les taux et relâcher (temporairement) le resserrement monétaire
Les banques centrales doivent donc continuer à augmenter leurs taux d’intervention tant que l’inflation n’est pas maîtrisée, sous peine d’aggraver les risques financiers à venir. Mais, elles doivent aussi relâcher si nécessaire le Quantitative Tightening (resserrement monétaire quantitatif) en cours, pour assurer la liquidité des banques, que la hausse des taux d’intérêt, et plus particulièrement des taux longs, mettrait sous pression excessive.
Suite à la panique bancaire qui a frappé Silicon Valley Bank, la Federal Reserve américaine a ainsi accru son bilan de 3,5%. Dans le même temps, elle a augmenté son taux d’intervention monétaire de 25 points de base (de 4,50-4,75% à 4,75-5,00%). La BCE, elle, a augmenté son taux d’intervention de 50 points de base (de 2,50% à 3,00%) tout en continuant à réduire la taille de son bilan, sachant que, contrairement aux Etats-Unis, la zone euro n’a pas été jusqu’à présent affectée par une panique bancaire. Reste à savoir si cette politique d’intervention qui vise à assurer systématiquement depuis 2008 la liquidité bancaire, ne déresponsabilise pas les banques. Et ne crée pas des conditions favorables à des crises financières futures…