Loin de réduire le poids de la dette publique dans le PIB, une surtaxe temporaire d’impôts sur les sociétés risque de l’alourdir en pénalisant l’investissement, prévient l’économiste Philippe Trainar.
Les députés et sénateurs de la majorité gouvernementale se sont entendus pour imposer une surtaxe temporaire à l’imposition des grandes entreprises. Cette surtaxe, censée rapporter 8 milliards d’euros, s’élèvera à 20,6 % de l’impôt sur les sociétés des entreprises dont le chiffre d’affaires se situe entre 1 et 3 milliards d’euros et à 41,2 % de l’impôt sur les sociétés des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 3 milliards d’euros.
Cette mesure accroît encore plus l’écart inquiétant qui se creuse à grande vitesse entre l’Europe, la France en l’occurrence, et les Etats-Unis. Quand les Etats-Unis envisagent de baisser l’impôt sur les entreprises, de réduire les contraintes réglementaires et les dépenses publiques afin de stimuler une économie qui caracole en tête des pays industrialisés, la France, dont les résultats économiques sont pour le moins décevants, milite pour augmenter l’imposition de ses entreprises, réguler plus et maintenir ses dépenses publiques à un niveau mondial record.
Décision catastrophique
D’un point de vue strictement économique, la décision d’imposer une surtaxe sur les entreprises est catastrophique. Elle va peser sur l’investissement et donc sur la croissance, l’emploi et la productivité. Pour fixer les idées, rappelons qu’une augmentation permanente d’un point de l’impôt sur les sociétés coûte à la France 0,3 % de PIB selon le modèle macroéconomique NIGEM du NIESR, qui est la matrice de la plupart des grands modèles macroéconomiques utilisés dans le monde. De ce fait, loin de réduire le poids de la dette publique dans le PIB, la mesure alourdit de 0,4 point à terme le poids de la dette publique.
« Les conséquences peuvent devenir marginales si son caractère temporaire est considéré comme pleinement crédible par les investisseurs. »
La cause de ces effets négatifs vient de la baisse de 2 % de l’investissement. Une imposition plus lourde réduit la profitabilité, conduisant à l’élimination des projets marginalement rentables. Sachant que le taux d’impôt sur les sociétés se situait dans la moyenne des pays de l’OCDE, elle incite aussi à délocaliser l’investissement, encore que cet effet soit moins déterminant dans la mesure où la délocalisation est une décision coûteuse financièrement, plus aisée pour les grandes entreprises déjà bien implantées sur les marchés internationaux… malheureusement ce sont elles qui sont la cible de la nouvelle surtaxe, comme nous le rappellent les propos récents de Bernard Arnault.
Un autre effet particulièrement délétère de la hausse de l’impôt sur les entreprises, c’est qu’il rend plus attractifs la consommation et les placements alternatifs à l’investissement dans les entreprises. Quelques bonnes âmes nous rétorqueront que ce n’est pas grave car, dans le cadre d’une économie mondialisée, les capitaux étrangers vont se substituer aux capitaux domestiques. C’est vrai.
Mais la substitution n’est jamais que très partielle, les investisseurs étrangers exigent une prime de risque plus élevée, ils sont plus volatils, fuyant le marché concerné à la moindre semonce, et la délocalisation des centres de décision n’est pas sans conséquences graves pour la France sur le long terme.
Crédibilité
Conscient de ces effets délétères, le gouvernement s’est battu pour que la mesure ne soit que temporaire. C’est probablement la façon la plus judicieuse de gérer la contrainte politique qui conditionne l’adoption du budget 2025, laquelle reste prioritaire si l’on veut éviter une crise financière. Les conséquences de la surtaxe peuvent devenir marginales si le caractère temporaire de la mesure est considéré comme pleinement crédible par les investisseurs (il faudrait alors s’attendre à une perte temporaire d’investissement et de PIB de l’ordre de 0,5 % et 0,1 %).
En revanche, elles peuvent rester similaires à celles d’une surtaxe permanente si le caractère temporaire n’est pas crédible. La réalité est probablement entre les deux, sachant que la crédibilité du gouvernement français, déjà affectée par sa tradition de forte instabilité fiscale, sortira forcément abîmée par cet épisode.