La faiblesse de l’union monétaire tient au fait qu’elle ne repose sur aucune souveraineté politique clairement définie.
Pour le vingtième anniversaire de l’euro, les « élites » européennes semblent avoir préféré la discrétion à l’autosatisfaction coutumière. Il faut dire que les observateurs extérieurs, qui ne sont pas tous des ennemis de la construction européenne, considèrent généralement que l’union monétaire est une construction bancale qui a plutôt desservi les intérêts de ses Etats membres.
De fait, durant ses vingt premières années, l’euro n’a pratiquement tenu aucune de ses promesses : il n’a pas provoqué le sursaut de croissance que l’on en attendait, il n’a pas contribué à stimuler les échanges commerciaux ou financiers entre les pays de la zone et il n’a pas facilité la convergence entre les économies partenaires. Son seul véritable succès concerne la maîtrise de l’inflation pour laquelle la BCE a si bien agi qu’elle peine actuellement à faire remonter l’inflation sous-jacente vers l’objectif des 2 %. C’est-à-dire que la zone continue à flirter avec la déflation.
Mais c’est durant la Grande Récession que la monnaie unique a montré le plus clairement ses faiblesses. Avant celle-ci, l’alignement des taux d’intérêt a incité certains pays à l’endettement pour financer le logement ou les déficits publics. Puis, quand la situation s’est dégradée, le retournement des flux de capitaux a signé la désintégration monétaire et financière de la zone. Et, en l’absence de mécanismes de solidarité, il a provoqué la crise des dettes publiques avec les conséquences que l’on sait. L’euro n’a donc pas tenu le rôle de bouclier contre les chocs extérieurs qu’on lui avait prédit.
Rancoeurs et défiance
Ces résultats étaient largement prévisibles, car on pouvait aisément constater que la zone euro ne satisfaisait nullement aux critères classiques d’une zone monétaire optimale. Mais, à l’époque, cette objection avait été balayée en expliquant que l’instauration de l’union monétaire, en modifiant la structure des économies, permettrait d’assurer le respect des critères. Les faits ont démontré la vacuité de cette argumentation.
Plus profondément, la faiblesse de l’union monétaire tient au fait qu’elle ne repose sur aucune souveraineté politique clairement définie, alors que la monnaie en est en principe l’expression. Ce point avait aussi été invoqué en critique à la construction de l’euro et la réponse à cette objection avait été du même ordre : la création de la monnaie unique serait une étape cruciale dans la constitution de l’union politique. Or, ici encore, les faits ont démenti la prophétie : le fonctionnement de l’union monétaire a plutôt divisé les Etats qu’il ne les a rapprochés, attisant les rancoeurs des uns et la défiance des autres.
Réparations sommaires
Pourtant, en dépit de toutes ces déconvenues, l’union monétaire est devenue irréversible. Parce que les coûts économiques et politiques de sa dissolution seraient considérables ; de plus, les citoyens européens y seraient hostiles dans leur très grande majorité. Mais il faut alors trouver des solutions pour que son fonctionnement ne nuise pas aux économies de la zone.
Logiquement, cela impliquerait de faire aussi vite que possible, ce qui aurait dû être fait avant l’introduction de l’euro, c’est-à-dire la construction d’une souveraineté européenne se concrétisant dans un budget fédéral, des systèmes sociaux comparables, une harmonisation des règles régissant les marchés du travail… ainsi qu’une vision partagée de l’exercice de la démocratie. Mais un tel projet qui éclaire le long terme est pratiquement impossible à réaliser dans un futur proche. Du fait des replis nationalistes et des clivages qui se sont durcis entre le bloc ordo-libéral du Nord et les populismes du Sud.
Sur le moyen terme, il faudra donc se contenter des ravaudages conçus dans l’urgence pendant la crise : des politiques macroprudentielles nationales pour moduler les effets hétérogènes de la politique monétaire unique, des fonds de secours pour aider des systèmes nationaux d’assurance… Au mieux, une solution d’attente.