L’inflation de retour ? Pas dans les chiffres, mais presque déjà dans les têtes. Nous venons de vivre des années où nous cherchions qu’elle renaisse un peu et où la crainte de la déflation dominait largement. Le discours actuel est simple, trop simple même : comme nous sommes confrontés à une crise durable de l’offre et que la demande réapparaitra dans les mois qui viennent, l’inflation sera la variable d’ajustement dans un classique déséquilibre offre/demande.
Pour ceux qui sont convaincus de sa réapparition et qui en font le futur ennemi à combattre, il y a un deuxième argument d’inspiration monétariste : l’abondance de liquidités injectées par les banques centrales finira bien par créer le processus inflationniste.
Or, le monétarisme n’est plus ce qu’il a été. Les liens entre la monnaie et les prix se sont beaucoup distendus. Depuis dix ans, face à la crise financière, les banques centrales ont tout lâché et leurs bilans ont explosé. Pourtant, l’inflation est restée fort modérée. Dans la zone euro, en deçà de la cible de la BCE. Pourquoi ? Avec la crise et la montée des incertitudes, la demande de monnaie, y compris pour des motifs de précaution, a augmenté.
Autrement dit, la vitesse de circulation de la monnaie a baissé, « compensant » partiellement l’impulsion monétaire des banques centrales. En outre, se pose un sérieux défi de transmission : une bonne partie des liquidités additionnelles, au lieu de venir soutenir la demande finale, consommation, investissement, est venue s’investir sur certains marchés d’actifs, alimentant ici ou là des bulles. Les bulles sont en quelque sorte l’une des nouvelles facettes de l’inflation, l’inflation des prix de certains actifs.
Cette inflation -là est beaucoup moins sous le contrôle des banques centrales que l’inflation au sens habituel des prix des biens et services. Par ailleurs, la mondialisation, par la concurrence qu’elle suscite, limite les possibilités de dérives des prix de la part des entreprises. Ces constats vont-ils rester valables dans le contexte actuel ?
Face au Covid-19 et à la récession imparable, les impulsions monétaires sont encore plus fortes qu’après 2008. Les politiques monétaires et les politiques budgétaires font le « job » en lâchant tout. Outre ce que les banques centrales apportent sans limites et pour l’essentiel sans conditions, se prépare in fine une monétisation des dettes publiques sur une vaste échelle. L’inflation sur biens et services va-t-elle revenir, le monétarisme va-t-il reprendre des couleurs. ? Nous ne le pensons pas, pour plusieurs raisons.
L’inflation pétrolière ? Vu la dégringolade des prix du baril, elle n’est pas d’actualité pour quelque temps. L’inflation salariale ? Etant donné la montée rapide du chômage qui se profile, elle n’est pas plus à l’ordre du jour.
L’inflation importée par le taux de change ? On ne voit pas bien se dessiner le recul de l’euro qui la provoquerait. L’inflation monétaire ? Nous revenons aux points déjà évoqués. La vitesse de circulation de la monnaie va baisser, avec la récession, avec le gonflement attendu des épargnes de précaution… Comme auparavant, la transmission vers l’économie réelle va être imparfaite, car une part des nouvelles liquidités viendra alimenter des bulles. Certes, la relocalisation d’une fraction de la production peut entraîner ici ou là des hausses de prix, sans pour autant déclencher de processus inflationniste.
Ne nous trompons pas d’adversaire.
En 2020-2021, notre ennemi sera le chômage, pas l’inflation. Après, nous verrons bien.