La plateforme japonaise d’échange de cryptomonnaies DMM vient de perdre pour plus de 280 millions d’euros de bitcoins en raison d’une fuite non autorisée de son portefeuille numérique. Ce dernier exemple met en avant les risques liés aux crypto-actifs, comme l’analyse Catherine Lubochinsky
Oubliée l’année noire (2022) : de 60.000 dollars en novembre 2021 le Bitcoin (BTC) ne valait plus que 16.000 dollars en novembre 2022, soit -76 % en un an. L’année 2024 s’annonce sous de meilleurs auspices, à l’exception de la petite chute de 15 % du mois d’avril, grâce à la Securities and Exchange Commission (SEC) qui a finalement autorisé l’émission d’ETF BTC par les sociétés de gestion d’actifs en janvier dernier. Le cours du Bitcoin est donc passé de 44.000 dollars début janvier à 67.500 dollars début juin.
Blackrock, n°1 des ETF BTC
Enfin les investisseurs individuels peuvent spéculer facilement ! Plus besoin d’acheter des cryptos en passant par des plateformes où les spreads et commissions permettent à ces plateformes de faire fortune mais qui peuvent être piratées, procéder à des détournements de fonds, voire faire faillite (Mt Gox, FTX …). Blackrock est devenu le numéro 1 du marché de l’ETF BTC en drainant 20 milliards de dollars (dans lequel ont investi plus de 400 sociétés financières ou banques), à quasi égalité avec Grayscale BTC Trust ; le fonds de Fidelity dépasse les 11 milliards de dollars (au cours actuel du Bitcoin, cours dont la volatilité peut donner des sueurs froides). Cependant, « à long terme », le cours va continuer d’augmenter puisque l’offre étant quasi fixe, il suffit de convaincre un nombre de plus en plus grand d’investisseurs. Le recours aux réseaux sociaux est d’une efficacité redoutable.
L’étude de la BRI (WP n°1049 R. Auer & al. Novembre 2022) est à cet égard révélatrice : l’augmentation des prix du BTC est associée à l’entrée de nouveaux investisseurs attirés par une augmentation de son prix, ce qui ressemble fort au comportement des investisseurs individuels en Bourse. Mais à la date de rédaction de l’article, les auteurs avaient calculé qu’environ 75% des utilisateurs avaient enregistré des pertes sur leurs investissements en BTC. Le degré élevé de concentration de la détention des cryptos permet par contre aux plus gros détenteurs d’avoir une influence sur les cours, influence s’apparentant parfois à une manipulation (voire un délit d’initié) donnant lieu à des poursuites judiciaires par les autorités américaines.
Chacun dispose de son épargne en toute liberté. Certains jouent aux jeux de hasard, d’autres se distraient au casino, confirmant ainsi un résultat standard de finance comportementale : une préférence pour un gain élevé avec une probabilité faible plutôt qu’une préférence pour un petit gain avec une probabilité élevée (à espérance de gain équivalente). D’autres achètent des bitcoins. Grâce à Kahneman et Tversky, on sait depuis longtemps que les individus ne sont pas rationnels dans leurs prises de décision mais sont influencés par des croyances et des biais qui affectent leur perception du risque. Le comportement moutonnier ne doit pas être négligé sous peine d’être ringardisé…
La mode est d’ailleurs aux « monnaies alternatives ». Ainsi que le rappelle la lettre du Conseil numérique de novembre 2023, il existe environ 80 monnaies locales en France : de la Pive en Franche Comté, au Rollon en Normandie, en passant par le Trèfle en Périgord. Il existe même le Ǧ1 en Mayenne enregistré sur une blockchain. Avis aux touristes, il va falloir de nombreux porte-monnaie avec ce qui s’apparente à un retour vers l’économie de troc ! C’est amusant, mais probablement pas d’une efficacité optimale pour faciliter les transactions.
Cryptoactifs, à ne pas confondre avec une monnaie
En tant qu’enseignante, qui considère que ces « actifs » ne possèdent toujours pas les caractéristiques essentielles d’une monnaie mais qui ne les confond pas avec les stablecoins ou la monnaie numérique des banques centrales, ni avec l’innovation remarquable que constitue la technologie de registre décentralisé sous-jacente, il m’est impensable d’inclure ces actifs dans un portefeuille financier diversifié. Évidemment la problématique peut être différente pour un pays émergent mais l’expérience du Salvador ayant donné cours légal au Bitcoin dès 2021 n’est pas concluante : seuls 12 % des salvadoriens l’auraient utilisé en 2023.
Par contre, il est certain que les ETF en Bitcoin devraient contribuer à une amélioration du RoE des sociétés de gestion d’actifs.