Dans une démocratie fatiguée, en proie à une crise des finances publiques, un président de la République tente le tout pour le tout en nommant une femme mystérieuse, Marianne, à la tête d’une nouvelle Direction générale des Trésors. Par un exercice d’équilibriste, devant rassurer les marchés financiers et donner des gages de justice fiscale, cette personnalité inconnue jusqu’alors se lance dans une ambitieuse réforme fiscale. Toute ressemblance avec la situation actuelle n’est pas fortuite.
Cet article est extrait du quatrième numéro de la revue Mermoz, « Aux impôts, citoyens ! ».
Décider et nommer, voilà les attributs du pouvoir. En ces temps où la faillite de la France devenait enfin crédible, un homme éprouverait cette règle. Arrivé au dernier moment quai Conti, le Président s’était assis sans que ne se lèvent les membres de l’Académie des sciences morales et politiques, placés sous sa protection séculaire. Le voici installé derrière eux, sur le long banc en bois d’ordinaire occupé par quelques curieux, certes souvent invités. Dans le huis clos du comité secret, une femme allait se présenter.
Un jour, les historiens sauront qualifier la période et les évènements. Dans l’attente, le Président, agrégé de la faculté de droit de Paris, travaillait la poutre des institutions et sondait tout ce que le pays comptait de « Conseils ». Cet homme qu’on disait fatigué, se revigora à malmener la répartition constitutionnelle du domaine de la loi pour élargir celui de l’ordonnance. Son grand œuvre serait donc la Direction générale des Trésors ; fusion du Trésor, de l’agence France Trésor et du Trésor public.
Le lendemain du comité secret, le Président attendait au salon vert de l’Elysée, aux côtés de son secrétaire général, originateur de l’idée. Un huissier annonça le rendez-vous.
- Marianne, installez-vous. Votre allocution d’hier a fait son effet auprès de nos amis. C’était important. J’ai signé à midi le décret de votre nomination, qui est d’application immédiate. Vous êtes donc la nouvelle directrice générale des Trésors.
- Merci monsieur le Président, répondit-elle sans ressentir le besoin de répéter ses arguments de la veille.
- Après le congrès de Versailles, j’irai en tournée internationale pour rassurer nos amis et nos ennemis. Espérons que les députés et sénateurs se tiennent. Vous savez, rien n’est plus féroce qu’un homme ou une femme souhaitant un ministère. Marianne, l’échec est impossible. Bonne chance.
Au Congrès, face à des parlementaires pour une fois polis, le Président conclut ainsi son discours : « Seul l’espoir nous sauvera, ne l’oubliez jamais. Aussi, je vous prie de m’accorder le sacrifice temporaire de vos ambitions et la vertu de votre silence. Ce n’est qu’à ce prix que nous surmonterons notre plus grand défi : le remboursement de notre dette et la justice fiscale. »
La presse et les médias jouèrent également le jeu de la désormais grande cause nationale et s’imposèrent un plafond de 30 % d’esprit négatif sur leur production, ratio cependant limité à un semestre et devant augmenter de 10 % chaque trimestre.
Pour se décentrer du commentaire que l’on s’échange usuellement de la rue de Varenne à la place Beauvau, Marianne et ses équipes s’installeraient à Lyon, dans l’ancien immeuble d’Interpol et fonctionneraient en commando, sur le modèle d’un ancien Premier ministre chargé à l’époque de négocier le retrait britannique des traités européens.
Qui était-elle ? Seulement la synthèse parfaite de notre temps. Baptisée « princesse de la noblesse de concours », elle avait tout appris : humanités, mathématiques, secteur privé, secteur public. Mais Marianne était double, comme le sont les personnes abîmées.
Voltaire ou Rousseau ? Avant les réseaux sociaux et YouTube, des gens se posaient cette question. Marianne avait choisi Jean-Jacques, marquée par la lecture de son Discours sur le fondement de l’inégalité parmi les hommes. Rue d’Ulm, ces mots résonnèrent : « en général la richesse, la noblesse ou le rang, la puissance et le mérite personnel, étant les distinctions principales par lesquelles on se mesure dans la société » Et désormais que le pays courait à sa perte, elle craignait l’avènement d’une société non de classes mais de castes. Des cauchemars lui venaient où les dizaines de millions de personnes modestes seraient bientôt coincées dans les limbes de la misère, celle qu’elle avait côtoyée durant son enfance. Ces gens ne seraient jamais distingués par la société ; dans notre monde, on ne mesurait plus l’humanité.
L’heure était donc à la gravité. Marianne obtint de la BCE une annulation immédiate de la ligne « France », centaines de milliards prêtés lors de crises structurellement exceptionnelles. Et le Directoire de Francfort les effaça, non sans avoir obtenu quelques mesures d’ajustement structurel prévus par le Mécanisme européen de stabilité, tel des gels de points d’indice et des rabots sur la dépense. Les collectivités territoriales furent également transformées en agences placés sous la surveillance budgétaire de la Commission européenne.
La dette de la France certes diminuée, l’inquiétude gagnait les investisseurs et le mur du refinancement s’annonçait dur. Marianne savait que le sujet ne se situait qu’ici. Un premier tabou fut brisé puisqu’elle communiqua sur les mandats accordés aux banques-conseil spécialisées en conseils aux gouvernements et dettes souveraines, qui n’assistaient d’ordinaire que les pays du Sud global.
Elle convainquit ensuite les grands bailleurs internationaux d’accepter l’inacceptable : durant dix années, toute adjudication de dette sera émise à 1 %. Les ordinateurs de Bercy avaient calculé que l’effet mécanique relutif permettrait de diminuer le stock de dette de 500 milliards d’euros. Et si dans les sociétés primitives on échangeait un objet contre un autre, l’évolution des espèces avait placé l’argent au milieu des transactions. Contre ce taux fixe, Marianne et ses conseils élaborèrent un dispositif complexe d’escompte consistant à placer en bourse une fraction progressive des cotisations sociales santé et vieillesse. La retraite par capitalisation était née sur le fondement de son expérience dans la banque d’affaires : la finance permet tout à ceux qui l’utilisent et la paient sans la combattre.
Le vrai redressement du pays passait par plus de justice fiscale. Les avancées logicielles et d’intelligence artificielle couplée à la concentration des pouvoirs et surtout à l’allègement des procédures fiscales donnèrent à Marianne la possibilité de moduler enfin les taux de TVA selon les revenus de chacun. La nouvelle TVA était automatiquement liquidée dès l’acte d’achat. Ceux qui paient n’aimant pas être les seuls à le faire, elle assujettit quelques millions de foyers fiscaux assez modestes à l’impôt sur le revenu. Elle s’attaqua ensuite à la déduction des charges des entreprises qu’elle passait non à la paille de fer mais au détecteur numérique de mensonges.
Les 500 grandes fortunes françaises contribueraient ; c’était l’évidence. Lors d’une réunion en visio, où presque tous appliquèrent un fond en arrière-plan, certainement pour dissimuler le mobilier somptuaire de leurs demeures et bureaux, Marianne coupa leurs micros et leur expliqua : « Je demande une souscription décennale aux emprunts d’Etat, qui tiendra compte de votre surface financière et de votre capacité d’endettement. Nous augmentons également la fiscalité sur les revenus du capital, y compris latents, l’imposition des dividendes placés sur les holdings… » Elle les renvoya ensuite auprès de la nouvelle sous-direction des Trésors, chargée de l’exécution de ce programme.
A compter de ce moment, la presse se déchaîna vraiment. Les 90 % du « quota médiatique négatif » devinrent l’espace où se sublimait le venin. Le « cabinet Marianne » fut livré aux chiens. Acculé mais tenant bon, le « Président du Journal officiel » comme on l’appelait désormais était heureux, sa créature ne l’avait pas déçue. Elle réussissait.
« La démocratie, c’est l’impôt ». Cette maxime apocryphe qu’on attribuait à Marianne constitua son legs. A ses obsèques, quelques milliers de personnes du peuple accompagnaient le cercueil, en mémoire de cette femme qui avait travaillé pour leur bien, sans pour autant les flatter. Mais aussi quelques personnes bien dotées ; celles-ci pour le salut de leur âme.