L’Intelligence Artificielle va-t-elle révolutionner les marchés financiers ? Des marchés déjà très sensibles aux réseaux sociaux. Maya Bacache revient sur les enjeux, risques et avantages de cette nouvelle donne numérique
En théorie, les marchés financiers sont des espaces où demandeurs et offreurs se rencontrent pour orienter de manière rationnelle et efficiente l’épargne vers les besoins d’investissement. En pratique, ces marchés sont aussi un terrain de jeu. En effet, les réseaux sociaux modifient l’allocation optimale sur les marchés financiers, de trois manières principales : les acteurs, l’impact d’une information et sa transmission.
De nouveaux joueurs entre en jeux
Un nouveau profil d’investisseurs perturbe les pratiques rationnelles : plus de la moitié des « joueurs/investisseurs » entrés sur les marchés après le Covid ont moins de 35 ans, près de neuf sur dix jouent régulièrement à des jeux d’argent et 20% dit investir « par jeu ». Surtout, une grande majorité s’informe sur les réseaux sociaux pour ses choix de placement et 41% des moins de 24 ans utilisent les réseaux sociaux comme première source d’information (étude de l’OCDE, 2023).
Ces joueurs ont des comportements moins rationnels dont un biais de confiance : ils sont 66% à s’estimer compétents, alors que l’AMF (l’Autorité des marchés financiers) note qu’ils donnent les mauvaises réponses aux questions économiques simples.
Aux Etats-Unis, une opposition entre ces petits investisseurs et des sociétés plus installées fait rage : le dernier épisode est le retour sur le réseau social X du trader « chaton rugissant », influenceur et spécialiste des jeux vidéo. Le titre soutenu par lui (GameStop) a pris 200% en deux jours suite à un dessin qu’il a posté. Les entreprises qui bénéficient de ces achats spéculatifs sont qualifiées de « meme stocks », des valeurs qu’on diffuse par effet réseau et qu’il est simplement ludique de posséder.
Quel est l’impact d’une information sur la valeur d’un actif ? Plus le niveau général d’incertitude est élevé, plus une annonce a un impact important. L’intuition est simple, dans un monde certain et stable, une nouvelle perturbe peu les certitudes, l’information est déjà intégrée dans le prix. A l’inverse, dans un monde incertain toute nouvelle information est scrutée et suivie car elle semble crédible. Si donc le marché financier avec ces nouveaux acteurs est plus incertain, toute nouvelle est source de perturbation, de bulles.
Les réseaux sociaux fournissent plus d’information qu’auparavant, mais les acteurs sont soumis à l’économie de l’attention : dans un flux infini de nouvelles, il est plus aisé pour les fraudeurs de manipuler l’information. Les autorités de régulations ont appelé les investisseurs à la vigilance face à ces influenceurs qui n’ont pourtant pas les compétences techniques pour donner un avis financier et qui augmentent la volatilité des marchés.
Fake news, vraie perte
L’AMF a également rappelé que les réseaux sociaux doivent rester un moyen de communication secondaire relativement aux communiqués financiers, et qu’il faut bien veiller à l’authentification sur les réseaux. On se souvient par exemple comment en 2016 plusieurs milliards d’euros avaient été échangés lors d’une usurpation du compte d’une entreprise sur un réseau social, une fake news démentie en moins de dix minutes mais qui s’était traduit par un effondrement du cours de l’entreprise de 18%.
Enfin, sur les réseaux sociaux il est moins couteux et plus rapide de diffuser une information. Le rôle des robots et de l’IA change la donne dans la vitesse de transmission et de propagation de la nouvelle. La banque Citigroup a versé une amende de 61,6 millions de livres au Royaume uni, pour une erreur commise par un de ses traders, rendue possible par la vitesse des ordres donnés et la vitesse de la réaction des marchés qui se traduisent par des ventes massives en moins de cinq minutes, le temps de corriger l’erreur.
Pourtant les réseaux sont également une formidable source d’information, et les acteurs institutionnels ne s’y trompent pas en s’en aidant pour améliorer la prévisibilité des marchés. La révolution des données est une avancée réelle, pour peu que l’on mette des garde-fous.