La BCE vient d’abaisser à nouveau ses taux directeurs, la troisième fois depuis juin dernier. Ainsi, le taux des facilités de dépôts, principale référence de la banque centrale – qui représente le taux servi sur les réserves excédentaires des banques de la zone – est passé durant la période de 4% à 3%.
Peu d’analystes reprochent à la BCE d’en faire trop. Le ralentissement de l’inflation et de la croissance justifie cette détente des taux, après leur relèvement brutal face à l’accélération de l’inflation durant la période 2021-2023. Ces derniers mois, la BCE respecte la lettre et l’esprit du mandat qui lui a été confié par les traités : contribuer à la politique économique générale une fois atteints et assurés les objectifs premiers de la politique monétaire, à savoir la stabilité monétaire et la stabilité financière.
Le débat est autre. Avec un pas de 0,25 (25 points de base) la semaine dernière, la BCE en fait-elle assez ? Elle peut justifier le gradualisme de sa politique, donc sa prudence, par plusieurs arguments qui traduisent de la part de la banque centrale la mise en œuvre d’une sorte de principe de précaution. D’abord, le combat contre l’inflation n’est pas encore gagné. Compte tenu des vives tensions géopolitiques, nous restons à la merci d’un nouveau choc énergétique. Par ailleurs, certains secteurs et certains métiers en tension ont connu des augmentations significatives de salaires nominaux et de salaires réels, et l’inflation dans les services résiste au ralentissement.
En second lieu, même si la BCE ne fixe pas d’objectif pour le taux de change de l’euro, elle surveille l’évolution de ce dernier. Le dollar a gagné du terrain depuis quelques semaines, avec l’élection de Donald Trump. Sans oublier que le taux directeur de la Fed (le taux des fonds fédéraux) est supérieur au taux des facilités de dépôts dans la zone euro, et qu’il le restera même si la Fed décide cette semaine de l’abaisser à nouveau. La BCE est sans doute encline à ne pas susciter de recul trop important de l’euro vis-à-vis du dollar, qui compliquerait la lutte contre l’inflation.
La prudence de la BCE est aussi explicable par la persistance de déficits publics excessifs, en France bien sûr mais pas seulement. Même si la mauvaise conjoncture appelle un « policy mix » (monnaie, budget) suffisamment expansif, il y a des seuils à ne pas dépasser.
Lors de la conférence de presse de jeudi dernier, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a évoqué la discussion intervenue au Conseil des gouverneurs d’un saut de 50 points de base (le taux de facilités de dépôts revenant alors à 2,75%). Un débat qui, en définitive, s’est traduit par une décision unanime en faveur de 25 points de base.
Malgré les arguments précédents, la prudence de la BCE paraît excessive alors que la conjoncture de la zone euro chancèle. Vu les délais d’action de la politique monétaire, en général plus d’une année pour qu’une détente des taux produise tous ses effets, c’est maintenant, et pas dans six mois, que la BCE, désormais rassurée sur le fait que son objectif de 2% d’inflation par an a toutes les chances d’être atteint, doit apporter sa contribution à la relance de l’activité (consommation et investissement) et de l’emploi. Donc, un saut de 50 points de base la semaine dernière aurait été préférable.
Les responsables de la BCE ont laissé entendre qu’il y aura en 2025 d’autres détentes des taux directeurs, sans en préciser le calendrier ni l’ampleur. Sage précaution : la banque centrale doit être pragmatique, elle doit pouvoir réagir aux informations les plus récentes sur l’inflation, l’activité et l’emploi, la santé des banques…A quelle vitesse revenir l’année prochaine vers le taux d’intérêt « neutre » ? Ce taux n’est pas observable. Il représente le point d’équilibre et de bascule entre une politique monétaire expansive, et une politique restrictive. Calculé à partir de considérations théoriques et de modèles, il donne lieu à des estimations forcément approximatives. La BCE le situe dans une fourchette large, entre 1,7% et 2,5%. La Fed parle d’un taux d’environ 3% pour les Etats-Unis.
Pour la zone euro, un taux neutre autour de 2% a une double signification : 1/ Il indique qu’il reste encore à peu près 100 points de base pour que la BCE l’atteigne en 2025, en deux ou trois mouvements. Mais, si la conjoncture de la zone euro vacille alors que l’inflation demeure sous contrôle, rien n’empêche la BCE d’installer le taux des facilités de dépôts en-dessous du taux neutre pendant quelque temps. 2/ Avec une inflation proche de 2% par an, un taux neutre de 2% correspond à un taux réel (hors inflation) à court terme proche de 0%. Un constat qui permet d’éviter des amalgames fréquents par les temps qui courent : ce taux neutre est fort différent du taux d’intérêt « naturel » (par exemple, chez l’économiste suédois Knut Wicksell au début du XXème siècle) qui assure l’ajustement entre l’épargne et l’investissement. Méfions-nous des rapprochements et assimilations trop rapides !