Cela fait des années que les règles prudentielles de « Solvabilité II » hantent les esprits de la finance européenne. Tout part d’un bon sentiment, celui de protéger, autant que faire se peut, l’épargne que les Français placent auprès de leur compagnie d’assurances, pour l’essentiel dans l’enveloppe fiscale d’assurance-vie. En contrepartie d’une contrainte relativement légère, conserver huit ans son épargne dans ce contrat, les bénéfices obtenus sont réellement avantageux, notamment en matière de fiscalité des revenus et sur les successions.
Des placements plus risqués
Au cours du fameux débat, finalement inutile, sur les retraites par capitalisation ou par répartition, l’assurance- vie ou la propriété immobilière sont apparues comme un compromis satisfaisant. Tout allait pour le mieux. Ceci jusqu’au moment où la baisse des taux d’intérêt a affaibli de manière évidente les rendements obtenus des fonds euros investis en obligations, c’est-à-dire la partie de l’assurance-vie garantie en capital. Evidemment, si l’on pense que les taux d’intérêt ont vocation à demeurer faibles, voire négatifs, cela fera deux victimes, l’épargnant et l’assureur-vie. Une solution s’impose, celle de diversifier l’actif de ces assureurs qui pourraient proposer des placements plus risqués à leurs assurés et obtenir ainsi des rendements qui viendraient pour partie combler la faiblesse des rendements actuels.
C’est là où intervient « Solva II » et l’absence de bon sens. Solva II pour résumer, c’est la contrainte pour l’assureur lorsqu’il investit dans un produit financier autre qu’une obligation de charger en capital dans son bilan une part importante de la valeur de l’actif pour se prémunir contre d’éventuels événements conjoncturels négatifs. L’erreur majeure de cette mesure porte sur la conception et la mise en oeuvre. Bien entendu, il faut que les compagnies d’assurances puissent faire face à des situations délicates. Mais la période que nous sommes en train d’affronter est celle d’un ralentissement de l’économie et d’un besoin fort en investissement, car la solution à nos difficultés réside dans notre capacité à innover. Comment le concrétiser, alors que la règle imposée à tous les assureurs-vie sur les produits d’actions, de private equity, de fonds de dette, qui permettrait à l’économie de se développer, est aussi contraignante. Des esprits chagrins ont pensé que le dessein caché de cette opération consistait à réserver l’épargne des ménages à la dette souveraine.
Oublions cette version cynique de l’histoire et revenons-en à la deuxième erreur, celle de la mesure. On a chargé notamment les achats d’actions de manière telle que les assureurs se sont éloignés de ce qui est un financement essentiel de l’économie. C’était tellement absurde que, sur certains produits, tels les actions à long terme ou les fonds de dettes non notés, Solva II a en 2018, allégé ces charges prudentielles.
Risque mondial
Aujourd’hui, les taux d’intérêt resteront vraisemblablement faibles, et les résultats pour l’économie pourraient être dramatiques. Profitons du fait que la situation des taux d’intérêt est exceptionnelle pour revenir sur le dossier de Solva II et pour changer fondamentalement les ordres de grandeur exigés pour tout investissement dans le financement direct des entreprises, donc de l’économie réelle. On objectera qu’il y a des process très longs, des régulateurs très sourcilleux et parfois peu imaginatifs. L’enjeu est tel, le risque mondial si important que ce premier cadre prudentiel imaginé à une période qui ne ressemble en rien à ce que nous vivons doit être fondamentalement remis à plat et modifié.