L’heure de la rentrée a sonné et les places financières sont déjà très actives. Programme chargé et nombreux sujets de réflexion pour les opérateurs, dans le contexte inflationniste et de politique monétaire tendue. Jean-Paul Betbeze passe en revue les différents scenarii possibles.
Pour déglutir le fait que les BRICS à onze pèsent 30% du PIB mondial depuis leur décision de s’agrandir à Johannesburg, contre 44% pour le G7, et la réunion de Jackson Hole, les marchés seront là pour nous dire ce qu’il faut en penser ! Récapitulons : une économie toujours forte aux États-Unis, mais faible en zone euro et qui plonge en Chine, une guerre en Ukraine qui dure, une production pétrolière en baisse, au milieu des dérèglements climatiques et d’une révolution technologique, le tout sans compter des tensions militaires partout. Comment comprendre tous ces phénomènes et en tirer les conséquences ?
Les taux condamnés à la hausse en Europe et aux Etats-Unis
Simplement, les marchés vont nous répondre, canalisés par les banques centrales américaine (Fed) et européenne (BCE), en se posant une seule question : quelle inflation ?
Côté européen. Il y a plus de 2% en zone euro, avec une hausse des prix à 5,3%, ce qui forcera la BCE à monter les taux à 4,5%, soit + 0,25%. Même si l’activité en pâtit ? Le 14 septembre, date de la décision de la BCE, on saura ! Avec une idée simple : si la BCE fait une pause, comme Christine Lagarde l’a (plusieurs fois) laissé entendre en juillet, elle ne pourra pas la maintenir. Ce sera partie remise. Les taux européens devront monter après cette éventuelle pause, pesant sur les conditions du crédit bancaire, décisives en zone euro pour la croissance, sachant que, de leur côté, les taux longs sont partout à la hausse dans le monde, en liaison avec la montée des dettes publiques.
Côté américain. Jerome Powell a prévenu : la hausse des taux longs va préoccuper la Fed, le 20 septembre. Elle se demandera si elle doit continuer ses hausses de taux courts, déjà à 5,5% pour une inflation à 3,2%, pour les calmer. Les partisans de la pause diront que la courbe des taux américaine est inversée à -1,3% (taux longs à 10 ans à 4,2% – taux courts à 5,5%), annonçant une récession. Ceux de la hausse diront que l’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) est à 4,65%, tenace, et que les dernières enquêtes montrent une activité soutenue. Donc il faut continuer, sachant que les taux longs à 30 ans, pourtant décisifs pour calmer le logement, sont à 7%, leur plus haut depuis 20 ans, et que cela ne semble pas suffire.
Les transitions climatique et démographique rendent obsolète l’objectif de 2%
Pour les marchés financiers donc, tout se ramène à un combat manichéen entre forces pro et anti-inflation, les banques centrales Fed et BCE étant les deux arbitres du jeu mondial. Mais l’avenir n’est pas écrit. D’abord, les changements climatiques sont porteurs de hausses durables de prix tout comme d’énormes investissements, privés et publics, pour les combattre. Ils vont mettre en péril la norme de 2% d’inflation dans les économies avancées et, en zone euro, celle du 3% du déficit budgétaire par rapport au PIB : faut-il les revoir à la hausse ? Ensuite, la démographie va poser les mêmes questions, face au vieillissement de la population et à la stagnation de la productivité. Ceci sans oublier les dépenses pour faire face à la révolution technologique en cours, plus celles destinées à renforcer une « autonomie stratégique », plus indispensable que jamais.
Ainsi se dessinent deux rentrées. La première, classique, où il s’agit de savoir comment la BCE va agir : pause des taux puis hausse dans ses deux prochaines réunions ; par rapport à la Fed : hausse des taux puis pause, elle. On dira que la Fed doit prendre le risque d’une forte hausse du chômage pour atteindre 2% d’inflation et la BCE celui d’une forte récession, ce qui explique leurs attentismes. La deuxième rentrée consiste à décrire le nouveau monde où nous allons, plus gourmand en capital matériel et surtout immatériel (pensons au rapatriement d’usines de puces aux États-Unis ou en Allemagne), avec son financement. Et l’on discutera alors d’un déficit à 5%, devenu « stratégique », l’objectif de 2% d’inflation ne bougeant pas.
Il faudra que les banques centrales parlent aux marchés de cette deuxième rentrée, BRICS compris, pour la combiner à la première. Quelles rentrées !