Les prochains dirigeants européens devront réorganiser la politique macroéconomique dans la zone euro, prévient Agnès Bénassy-Quéré du Cercle des économistes. La transition énergétique peut fournir aux Européens un moyen de sortir de la nasse, mais elle ne sera pas sans coût politique.
Les tensions actuelles sur les politiques budgétaires en zone euro ne sont absolument pas une surprise. Depuis longtemps, on sait que l’unification monétaire crée à la fois davantage de besoins en matière de stabilisation budgétaire et davantage de risques de dérive : la Banque centrale européenne ne pouvant s’ajuster parfaitement aux besoins des 19 économies de la zone euro, il revient aux gouvernements de compléter son action pour stabiliser l’activité. Mais, à l’inverse, l’augmentation du déficit dans un pays a un impact minime sur les taux d’intérêt, lesquels sont déterminés à Francfort, alors pourquoi se priver ?
Le traité de Maastricht avait essayé d’anticiper ces problèmes. En maintenant leurs finances publiques à l’équilibre en moyenne, les Etats membres auraient largement de quoi réagir aux fluctuations de l’activité : creuser le déficit jusqu’à 3 % du PIB en période de crise et passer en excédent en phase haute lorsque l’économie se rétablit. Hélas, les années récentes ont montré les faiblesses de cette construction. Pis, la BCE s’est avérée incapable d’atteindre son objectif d’une inflation « inférieure à, mais proche de 2 % » sans l’appui des politiques budgétaires nationales.
Les prochains dirigeants des institutions européennes – Parlement, Commission, Conseil, BCE – vont devoir réorganiser la politique macroéconomique dans la zone euro et se montrer créatifs si, par malheur, une nouvelle crise survenait à brève échéance. Or la politique joue contre eux. D’un côté, les pays excédentaires – pays d’épargnants – sont furieux de voir la BCE maintenir des taux d’intérêt très bas, sans comprendre que les taux sont bas justement parce que l’épargne est abondante. De l’autre, les pays déficitaires ne voient pas pourquoi ils réduiraient leurs déficits si les taux d’intérêt restent faibles pour longtemps, et ils ont mieux à faire, compte tenu de leurs niveaux encore élevés de chômage.
Maintien des investissements
Les longues négociations sur la mise en place d’un budget « zone euro » ont accouché d’une souris tellement petite qu’elle ne risque pas de beaucoup perturber les réunions du Conseil européen. Désespérés, les tenants d’une relance par l’investissement en appellent au verdissement de la finance et de la politique monétaire. Cette voie semble cependant peu praticable tant qu’une véritable trajectoire crédible n’est pas mise en place pour le prix du carbone. Sans cela, quel sera le rendement des investissements verts ?
La lutte contre le réchauffement climatique peut fournir aux Européens un moyen de sortir de la nasse, à condition toutefois d’avoir le courage d’attribuer un prix croissant aux émissions de gaz à effet de serre, et d’ajuster leurs systèmes d’impôts et transferts afin que la charge ne retombe pas sur les plus modestes. Dans ces conditions, un budget « zone euro » pourrait se justifier pour permettre à chaque Etat membre de maintenir ses investissements même en période de crise, dans le but partagé de réduire les émissions au niveau de la zone euro tout entière.
Une réorganisation de la politique macroéconomique autour de la transition énergétique est possible, mais elle n’est pas sans coût politique : la finance, les banques, la banque centrale ne peuvent se substituer à une vraie décision structurante de la part de nos futurs élus.