Va-t-on assister à un mouvement de concentration du secteur bancaire sur le Vieux Continent ? Les informations faisant état de discussions le laissent penser. Plus que le nombre, André Cartapanis estime que la question devrait être celle de la régulation.
Si l’on en croit la presse financière, l’heure est à la consolidation des banques en Europe. La Deutsche Bank discute avec la Commerzbank. La Société Générale pourrait se rapprocher d’UniCredit qui lorgne du côté de la Commerzbank si le rapprochement avec la Deutsche Bank n’aboutit pas. Et l’on observe une approbation implicite du côté de Mario Draghi, le président de la BCE, ou des superviseurs européens, conscients des contraintes qu’imposent la fragmentation du secteur bancaire européen et les surcapacités de cette industrie. Quant aux banques, elles y voient une réponse à la faiblesse de leurs marges et de leur valorisation boursière, et le moyen de rivaliser avec les banques américaines.
Rien n’est fait, et l’on verra dans les prochains mois si cet agenda se confirme. Mais comment justifier un tel renforcement de la concentration bancaire en Europe ? Fort naturellement, pour une activité financière, en se situant sous l’angle des gains d’efficacité et du côté des risques que cela induit.
Quels effets de la concentration sur le risque bancaire ?
La concentration bancaire permet-elle de dégager des économies d’échelle ou des économies d’envergure en amortissant les coûts fixes d’innovation, de recherche et d’investissement dans le digital, les coûts de distribution, et en assurant une plus grande diversification des produits financiers ? La littérature spécialisée est mitigée à ce sujet. Car le maintien d’une concurrence bancaire élevée peut améliorer l’efficience interne des banques et favoriser l’innovation financière avec une plus grande variété de produits, des commissions réduites pour la clientèle et de meilleurs services pour les entreprises.
Quant à la course à la taille, elle peut créer des coûts de coordination face à la fragmentation du marché bancaire européen. Rien ne garantit un surcroît d’efficience pour des rapprochements paneuropéens si les réseaux de détail se maintiennent, ou si les actifs financiers restent assujettis à des règles nationales, fiscales ou prudentielles.
La question des effets de la concentration sur le risque bancaire est également controversée. Dans certaines études, la concurrence bancaire et la contraction des marges augmentent les incitations à la prise de risque auprès des débiteurs, ce qui met en jeu la solidité des établissements et, plus généralement, la stabilité financière et le risque de crise systémique. D’où le jugement positif porté sur la consolidation bancaire, la taille accrue permettant de mieux diversifier les risques.
Mais d’autres études montrent que la taille des banques et leur caractère congloméral, souvent associés à leur internationalisation accrue et au poids croissant des activités de marchés, se trouvent positivement corrélés avec le risque de défaut ou de crise financière, justifiant d’ailleurs le surcroît d’exigences règlementaires qui s’appliquent aux plus grosses banques, dites « systémiques », dans le cadre de Bâle III.
Des taux proches de zéro
En réalité, la situation délicate des banques européennes en 2019 n’est pas réductible à la taille insuffisante des champions européens. Elle résulte tout autant des taux proches de zéro de la BCE, de l’inachèvement et de l’hétérogénéité du marché bancaire européen, et des exigences réglementaires issues des comportements à risque des banques, déjà de très grande taille, dans l’avant-crise.
Deux conclusions se dégagent : il n’est pas certain qu’il y ait trop de banques dans la zone euro ; il est urgent que les autorités adoptent un savant dosage reliant la politique monétaire, la politique prudentielle et la politique de la concurrence dans le secteur financier. Surtout dans un contexte où la digitalisation bouleverse les positions établies et suscite de nouvelles formes de concurrence.