Cet article est extrait du troisième numéro de la revue Mermoz, « Innover sans fin ? ».
Lien entre la créativité et la fonctionnalité, le design joue un rôle essentiel dans le processus d’innovation. Parce qu’il identifie et résout les problèmes, en intégrant les contraintes esthétiques ergonomiques et pratiques, le design est le pont qui permet de transformer des idées novatrices en produits utilisables et pertinents pour les utilisateurs. Nous avons demandé à un jeune designer, Ramy Fischler, de partager ses trois objets coup de cœur.
La première revue (visionnaire) à base de papier recyclé
Ce premier objet incarne pour moi la naissance du design comme caisse de résonance des usages modernes. Cette revue hebdomadaire fabriquée à base de pulpe de papier recyclée (d’où son nom « pulp »), voit le jour au début du XXe siècle, sous l’impulsion d’un inventeur hors norme du nom de Hugo Gernsback. Ce luxembourgeois immigre aux États-Unis pour se créer de nouveaux objets électriques qu’ils brevettent frénétiquement, sans obtenir le succès escompté. Hugo a quelques décennies d’avances sur son temps, ni l’industrie ni le public n’est encore prêt à adhérer à ses idées visionnaires qui sont aujourd’hui notre quotidien. Il va donc créer une revue pour narrer le futur et incarner ses inventions à travers des récits d’anticipation. Ses publications auront un succès phénoménal aux États-Unis, elles rendront tangibles et populaires, parfois quatre-vingts ans avant leur mise en fabrication, le smartphone, la visioconférence, la chirurgie assistée, l’intelligence artificielle ou encore le casque de réalité virtuelle.
Un iPad… 40 ans avant l’iPad
Ceci n’est pas un iPad à bord d’un voyage Paris-NY en classe éco, mais une scène du film mythique « 2001, l’Odyssée de l’espace », de Stanley Kubrick, réalisé plus de 40 ans avant la sortie du premier iPad d’Apple. Bien souvent certains objets indissociables de nos usages quotidiens, ont émergé des décennies plus tôt dans des récits d’anticipation, alors même que les avancées technologiques ou industrielles ne permettaient pas d’obtenir sa réalisation. Cet exemple m’est cher car au-delà de l’objet lui-même, posé de manière anecdotique au côté d’un plateau repas tout aussi visionnaire, cette composition incarne la manière dont Kubrick et son équipe d’experts imaginent avec justesse l’évolution des pratiques individualistes et de l’omniprésence des écrans.
« Bien souvent certains objets indissociables de nos usages quotidiens ont émergé des décennies plus tôt dans des récits d’anticipation »
Ramy FischLer
Un purificateur d’air
Ce troisième objet s’appelle « Shield », je l’ai dessiné en 2021 pour une entreprise française du nom de JVD, qui développe des technologies pour améliorer notamment l’hygiène et la qualité de l’air dans les intérieurs. Fabriqué à Nantes, en métal recyclé, considéré comme l’un des purificateurs d’air les plus performants au monde, cet objet incarne bien le rôle du design dans l’émergence de nouveaux usages au service du care, et plus largement de l’utilité de l’innovation technologique pour faire face aux nouveaux dangers sanitaires. L’air est 8 fois plus pollué dans nos maisons qu’à l’extérieur, un phénomène urbain qui va s’amplifier avec le réchauffement climatique. Les objets que nous concevrons pour demain devront répondre à ces nouveaux fléaux invisibles, et à ce jour méconnus, tout en cherchant par le design à concilier l’utile, le beau et l’agréable. Donner du sens à ce qui nous entoure.